Pierre Notte
Publié le 01/04/2010

12 stations d'acteur avant son entrée en scène


Pièce brève de Pierre Notte

1. 
Pipi
Pipi
Est-ce que j’ai fait pipi (je n’ai pas fait pipi) j’ai fait pipi
J’ai fait pipi
J’ai fait pipi trois fois
J’ai fait pipi trois fois en trois heures
Ça brûle – ça brûle quand même – ça brûle et ça pique et ça monte
Trois fois j’y suis allé (aux cabinets) 
J’y suis allé trois fois (allé, c’est ça) 
mais qu’est-ce que j’y ai fait ?
Qu’est-ce que j’y suis allé faire - est-ce que j’ai fait pipi
est-ce que j’ai seulement fait pipi ? 
Je me suis assis 
Je me suis d’abord déshabillé – déshabillé en partie
et je me suis assis 
(pantalons baissés, caleçon baissé, les coudes sur les genoux, le regard dans le vague, dans le vide) 
J’y suis allé trois fois mais qu’est-ce que j’y ai fait 
mais est-ce que j’ai fait pipi
est-ce que j’ai fait autre chose que regarder dans le vague dans le vide en oubliant pourquoi j’étais là
(ce que j’étais venu faire là – pipi caca etcetera)

 2. 
il y en a – c’est arrivé
c’est forcément arrivé – il y en a eu
des comédiens sur le plateau des comédiens en scène (des comédiennes en scène) 
des acteurs qui se mettent à vouloir faire pipi
des comédiens au cœur de l’action dramatique et du plateau 
et devant le public et face à leur partenaire et sous les lumières et dans le décor
qui se mettent à vouloir faire pipi – a en avoir envie (terriblement envie)
des comédiennes en scène et en jeu – au cœur de l’action et de leur scène dévorés assiégés assaillis par
une envie brûlante (ça brûle merde) de faire pipi 
(un besoin urgent pressant – merde ça presse – de faire pipi)
cela a dû arriver – cela est forcément arrivé
qu’un comédien (une comédienne) en scène et en jeu se trouve pris (prise) de l'envie de faire pipi 
cela a bien dû arriver à quelqu’un 
il faut que j’y retourne 
il faut que j’aille faire pipi 
je dois y retourner – je devrais y retourner
je ne peux pas y retourner – je n'y retourne pas
je veux y aller – je dois y aller – je ne peux pas y aller
ils vont m’appeler
c'est mon tour, c'est mon nom qu'ils vont appeler 
est-ce que je vais rater mon entrée (je ne raterai pas mon entrée)
je préfère encore me pisser dessus que de rater mon entrée 

3.
quand est-ce que j'y suis allé – parce que j’y suis allé (aux cabinets)
j’y suis allé mais je ne sais plus (incapable de savoir) ce que j’y ai fait
non mais quand même
j'y suis allé et je ne sais pas ce que j'y ai fait 
le théâtre c’est ça – tout à fait ça (et tout le temps ça) 
faire ce qu’on fait mais sans le faire
être là mais sans être là 
oublier tout le temps ce qu’on est venu faire là (du théâtre) 
et tout faire (faire tout)
mais oublier ce qu’on est venu faire là (du théâtre) 
et tout faire (sauf du théâtre) 
le pipi – c’est pareil
j’y vais, j’y suis, mais je ne sais plus ce que j’y fait (caca pipi pareil)
j’y suis mais je ne sais plus que j’y suis ni ce que j’y fais
La grâce au théâtre c’est quand le théâtre finit par s’ignorer 
(être spectateur – pareil – la grâce ce serait oublier qu’on est spectateur) 
mais qu’est-ce que je raconte (est-ce que j’ai envie de faire pipi) Est-ce que j’ai fait pipi 
Est-ce que j’ai encore le temps de faire pipi – d’aller faire pipi 
est-ce que je suis seulement en état d’aller faire pipi 
je ne suis pas du tout en état d'aller faire pipi (je ne bouge pas d'ici) 

4. 
je n’ai pas du tout envie de faire pipi
j’ai envie d’aller aux toilettes pour m’éloigner des loges
j’ai envie de m’éloigner des loges pour m’éloigner des coulisses
m’éloigner des coulisses pour m’éloigner du plateau
m’éloigner du plateau pour m’éloigner de la salle
m'éloigner de la salle pour m'éloigner de la représentation
m’éloigner de la représentation pour
m’éloigner de ma frousse
m’éloigner de ma frousse qui me donne envie de vomir
j’ai envie de vomir
j’ai envie de vomir 
je vais vomir 
il faut que j’aille aux toilettes
il faut que j’aille vomir aux toilettes
ce sera la quatrième fois la quatrième fois aujourd'hui
je cours (traverse les loges pour aller aux toilettes vomir tout ce que j'ai à vomir)
la quatrième fois que je cours aux toilettes pour aller vomir
je n’ai plus rien à vomir (j’ai tout vomi jusqu’à la moindre chips)
je ne vomis pas – je ne vais pas vomir
je me tiens je me maintiens je me contiens
je contiens le vomi
à l’intérieur je garde tout entier serré resserré raffermi (c’est du solide)
je ne raterai pas mon entrée 
il n’est pas question que je rate mon entrée
je reste là jusqu'à ce qu'on m'appelle (on va m'appeler d'un instant à l'autre) il n'est pas question que
je rate mon entrée 

5.
ça brûle ça pique ça monte ça grouille
ça bouillonne et ça gargouille
c'est un puits de pétrole au-dedans un geyser à l'intérieur (du coccyx au larynx ça boue là-dedans)
une mine de boue et de gadoue humaine
une semaine de craquers de corn flakes et de café 
en bouillie chaude portée à une sorte d'ébullition tiède 
c'est bien simple
si je me lève c'est bien simple
oh là là la catastrophe
si je me lève tout tombe tout lâche tout coule
le corps le ventre les intestins l'estomac tout dit ciao
ciao bye bye et à bientôt tout le monde dehors (et par ici la sortie)
le théâtre c'est pareil – jouer danser incarner interpréter c'est pareil
tout tenir tout retenir et contenir les déchets les rejets les trucs et les machins mâchés mâchouillés
avalés digérés broyés
jouer c'est tenir – contenir – retenir
on va m'appeler
cela va être à moi – à moi de me lever – d'y aller
d'aller jouer les grands hommes d'intérieur avec mon petit jeu tout intériorisé
et c'est tout le reste qui va partir sortir (hop là)
à l'extérieur toute – raous  
une semaine de corn flakes et de choucroute
tant pis je m'en fous
je vais me chier dessus et je m'en fous
je ne vais pas rater mon entrée sous prétexte que tout me pousse vers la sortie 

6. 
m'allonger
je vais lever mon vieux cul de ma vieille chaise
et m'allonger (hop là debout et couché niniche panier le vieux corps à pépé)
je me lève de ma chaise et je m'allonge
je ne vais pas laisser mon corps me dicter sa loi de corps
je ne vais pas me laisser dicter ma conduite et mes mouvements par un corps qui n'appartient qu'à
moi (non mais tout de même)
je vais répondre de mon corps
je peux encore répondre de mon corps
je ne vais pas me laisser emmerder (pipi caca panique etcetera) par un corps dont je suis le seul (que je sache) à habiter (à nourrir à laver à entretenir à porter à supporter à soigner à chérir - à habiter quoi)
ce n'est pas toi sac de vieille peau de vieille chair de vieux muscles qui va me dicter mes faits et mes gestes (non mais)
je prends le dessus et je m'allonge je m'allonge et je me fais cinquante abdos 
cinquante abdos ça va te calmer tout de suite mon bonhomme
non mais alors ça 
ça qui est mon métier 
mon métier exactement
(répondre de son corps, maîtriser la bête, et la voix et les airs et les mouvements dans l'air et en faire quoi - quoi faire du corps - ça c'est mon métier)
mon métier exactement (comme danseur acrobate artisan du cirque ou nageur coureur tennisman)
acteur si moi (moi) je ne contrôle plus – perds tout contrôle – sur le corps 
si moi acteur je ne maîtrise plus – c'est que le métier n'est pas rentré (est-ce que le métier n'est pas rentré ?)
Le métier est rentré et je vais te le prouver mon petit bonhomme
rien ne sort d'ici ni moi ni caca ni pipi tant que je ne l'ai ni décidé ni choisi ni dit
rien ne sort d'ici (pas question que je rate mon entrée)

7.
cinquante abdos
cinquante pour commencer
je m’allonge
bras derrière la tête
mains croisées dans le cou
je lève – relève la tête menton bien droit – soulève le tout
et la tête et les épaules et le cou et le torse et les ventre
cinquante abdos et j’expulse d’un coup les vielles peurs
les vieux prouts des vieilles soupes de vieilles frousses intérieures
je presse je compresse et je lâche et hop
dehors les vieux pets de l’estomac noué par la poisse et la trouille
vents secs ou foireux je m’en fous après tout
j’expulse je purge j’extirpe hop hop hop je libère les sols occupés par l’ennemi (la peur, l’anxiété et l’angoisse)

8. le théâtre c’est bien ça (ce n’est que ça mais c’est bien ça)
purger expurger
vider le bouc de son sang moisi
vidanger les corps des sacs de pus
crever l’abcès (percer le bouton d’acné)
là pareil (je connais mon métier)
je m’allonge je coince mes pieds sous le dessous de la banquette et je me lève, me relève, le dos ne touche pas le sol, je presse et compresse mes abdos
je contracte et tout le vieux monde des vieilles peurs dehors (je connais mon métier et je peux dire que j’en ai – du métier)
mon métier (et je peux dire qu’il est rentré) c’est faire sortir (tout sortir)
expulser – pousser dehors – repousser au-dehors
et c’est par là que ça va commencer (par les bulles d’air de l’estomac comme les démons de la cité)

8.
ah non pas ça – pas ça
oh non oh non pas ça
je vais péter la couture de mon pantalon
je vais faire exploser les coutures et les doublures (et déchirer le tissu de pantalon de costume cousu sur mesure)
je déforme le costume (tu me déformes mon costume à gonfler comme ça)
cela se voit (on ne voit que ça – on ne va voir que ça – ils ne vont voir que ça – le gonflement soudain – l’énormité gonflée à bloc un zeppelin dans la culotte)
mais comment est-ce possible
comment est-ce seulement possible
ne plus répondre à ce point de son corps
n’en plus maîtriser le centre exact, le nœud central, la pompe à sang qui soudain se met à gonfler
se durcit comme un ballon de rugby
(ils ne vont pas y croire – personne ne va y croire – ils vont penser que c’est un accessoire – personne ne pourra ne voudra croire que j’entre en scène dans cet état)
Le théâtre c’est ça exactement ça tout le temps (ce qui est vrai fait faux ce qui est faux fait vrai)
là c’est tellement vrai (tellement vrai de vrai mais vrai jusqu’à l’obscénité)

9.
Tellement vrai qu’ils diront (je les vois, je les entends d’ici – mais qu’est-ce que tu es allé mettre – quoi et pourquoi – un truc dans ton pantalon)
je ne vais pas – je ne peux pas comme ça tout dur tout raide et tout tendu
entrer – faire mon entrée (calme toi papa respire contrôle pense à autre chose)
pense à autre chose pense à autre chose (autre chose)
quelque chose qui fait que tout reprend sa taille normale (sa taille d’avant l’énervement, d’avant l’émerveillement, d’avant l’excitation, d’avant le rêve américain)
pense aux subventions – pense aux subvention
Je les vois – les entends d’ici
pas la peine de mettre un faux truc dans un costume de scène pour signifier le désir
pas la peine de mettre du sang vrai ou faux pour signifier la violence
pas la peine de se donner des coups pour signifier qu’on se fait du mal
pas la peine de boire du vrai thé pour signifier qu’on boit du thé
qu’on boit du vin pour signifier qu’on boit du vin
ou du whisky pour du whisky
pas la peine de boire jusqu’à la saoulerie pour signifier qu’on est ivre mort
pas la peine d’être mort pour signifier qu’on est mort

10.
pas la peine de faire tomber de la pluie pour signifier qu’il pleut
pas la peine de faire geler de l’eau pour signifier qu’il neige
pas la peine de mettre un faux truc (truc c’est le mot comme on dit « truc » de comédien) pour signifier la ferveur la force et la puissance d’un désir incontrôlable
c’est ça le théâtre exactement tout le temps
quand c’est vrai c’est improbable
quand c’est seulement probable c’est déjà vrai
quand c’est faux c’est probable
et quand c’est improbable c’est enfin vrai  exactement ça – le théâtre et son effet de miroir
(et moi c’est passer de l’autre côté qui me fait tout bousiller à l’intérieur et le pipi et le caca et les airs et le bouillonnement de l’estomac et le sang qui monte à la tête et tout en bas et me redresse et me durcit le truc comme le poing d’un militant communiste)
Pense à autre chose et calme-moi (pas question d’entrer en scène dans cet état)
pense aux abonnés
On voudrait vivre tout ce qu’on dit qu’on y vit
La scène – on voudrait y vivre tout ce qu’on dit qu’on y vit et s’en aller (disparaître et recommencer – le lendemain, recommencer)
Le sexe, l’amour, le vin, le meurtre, les drogues, la souffrance, la vengeance, le pouvoir, le savoir, le diable, les anges, les bonheurs, les riens, le tout, Dieu et les hommes, les femmes et les trolls, les métamorphoses, les crânes, les corps qui flambent, les phrases qui fusent et les samovars qui fument
Tout y vivre
Innocemment, impunément, absolument
S’en aller et recommencer

11.
Mourir aimer assassiner venger détruire souffrir saisir et hop disparaître et recommencer
Mais qu’est-ce que je fais là
Mais qu’est-ce que je fais et de quoi exactement est-ce que j’ai tellement peur
(qu’est-ce que c’est que ça – cette peur, cette frousse, ce froid, et le pipi, le caca, les airs de l’estomac et le machin tout dur – mais qu’est-ce que c’est que ça)
Tout ce que je dis ce n’est pas moi qui le dis
Tout ce que je fais ce n’est pas moi qui le fais
Tout ce que je pense ce n’est pas moi qui le pense
Je ne bouge pas – j’exécute le mouvement dessiné
Je ne parle pas – je fais entendre la parole donnée
Et même mon corps ce n’est plus mon corps (costume, postiche etcetera)
Et même ma peau ce n’est pas ma peau (fond de teint, poudres, lentilles et maquillage)
Le moindre sabre c’est du plastique
La moindre épée le moindre couteau le moindre ciseau (plastique polyester caoutchouc)
Le moindre cri est un faux bruit – le moindre mot est écrit, déjà dit
Mais de quoi est-ce que j’ai peur

12.
Mais de quoi exactement
mais de quoi est-ce que je peux bien encore avoir peur (je ne m’expose pas je ne fais que passer)
ce n’est pas moi qui parle
ce n’est pas moi qui bouge
ce n’est pas moi qui pense qui agis ou qui danse
Je ne fais que passer (et les mots et les gestes et les idées) moi je n’ai rien
Rien d’autre à faire – que ça à faire (passer)
Est-ce que c’est pour cela que ça ne passe pas (à l’intérieur – tout part en vrille)
Est-ce que c’est pour cela que ça ne passe plus (que je me retrouve comme traversé de part en part par tout ce qui bouille bouillonne de liquides intérieurs)
Mais cela passe – cela passe et c’est passé
Enfin passé
Je vais y passer (comme on passe par la fenêtre)
C’est à moi d’y passer et c’est passé (plus de peur plus de froid plus d’effroi c’est fini terminé)
C’est passé (je suis là, assis, vivant, je suis vivant et je le sais)
Je suis vivant, je le sais, je suis prêt enfin prêt
Prêt à tout – à tout vivre et à mourir ce soir - et pour demain recommencer

Noir.

(Une version de ce texte a été interprétée par Olivier Dutilloy lors de la présentation de saison 2010-2011 du CDN de Montluçon, le Festin,  
sous la direction d'Anne-Laure Liégeois.)


Ex Secrétaire général de la Comédie-Française, Pierre Notte a été trois fois nommé aux Molières dans la catégorie auteur. Il chante, joue, écrit, met en scène ses pièces à Paris ou à Tokyo, il est auteur associé et conseiller au Théâtre du Rond-Point, se prend pour Catherine Deneuve et c'est rien de le dire qu'il se la pète. 

Plus de...

Pierre Notte

 ! 

Partager ce billet :

À voir aussi

Le 15 mai 2010 à 23:02

À Mona Lisa cette garce

Textos restés à ce jour sans réponse à madame Lisa

1. Jour sans couleur. Votre sourire semble me dire que vous ne voulez de moi que le meilleur. Et rien d’autre. Allez vous faire foutre. 2. Il n'y a de relation facile qu'avec les chiens, les touristes ou les prostitués. Disiez-vous. Je vous envie d’aimer la facilité. 3. Le Louvre est loin et le temps à l’averse. Jamais seul, je me promène avec vous qui n’êtes pas là. Je vous ai cherchée partout. Je ne vous ai reconnue nulle part. 4. Sur ma table de travail, j’exhibe les traces des produits de vous dérivés, les dissèque comme des crapauds. Je me souviens de vous. Je suis certain que c’était ça, aimer. 5. N’écrivez pas. Voudrez-vous bien aujourd’hui avoir l’amabilité de demeurer morte ? Que je puisse ne plus m’éparpiller dans mon deuil de vous. 6. Vous ne répondez jamais. Votre docilité est consternante. Où en êtes-vous de votre deuil de moi ? Quand je pense à tous ces gens qui vous regardent. 7. Ne répondez pas à mon précédent message, je ne veux pas savoir où vous en êtes. Je ne veux plus jamais savoir. 8. Démission postée au musée du Louvre. Ce jour porte la tristesse de réaliser que ces voyages sont désormais avec vous inconcevables. Je ne serai plus votre gardien. 9. Les jours de pluie se font rares. Je passe mon temps à me venger de votre absence. Je ne parviens pas à croire que je vous suis si facile à quitter. Mais j’apprends. 10. Votre absence prend les couleurs des dimanches vides. Elle est partout. Votre absence est partout où vous n’êtes pas. C’est dire. 11. Je vous confiais : « Nous n’allons nulle part. » Votre air semblait ajouter : « et encore, pas même ensemble. » 12. Au risque de vous blesser, j’avoue que souffrir de votre absence devint plus tolérable dès lors que vous n’étiez plus là. Vôtre, toujours où vous n’êtes pas. 13. Il faut que je vous dise, il est possible qu’à vous chercher partout et toujours, sachant que je ne vous trouverai qu’inaccessible ; il est possible qu’à vous chercher sans cesse et partout sachant que je ne vous atteindrai jamais, il est possible que je devienne fou. Et vous embrasse.

Le 14 avril 2016 à 11:44

Le Cabinet de curiosité de Pierre Notte, avec France Culture

Pour les pédants on a du matériel

Une émission France CultureChaque mois, un écrivain vous ouvre les portes de sa bibliothèque insolite. Guidé par sa fantaisie, il propose des textes cocasses, impertinents, drolatiques ou bizarres, une littérature savoureuse et décapante, que des comédiens viendront interpréter en public.Pierre Notteavec Pierre Notte, Jacques Bonnaffé, Dominique Mac Avoy et Chloé Olivérès. "J'ai choisi de collecter des bribes de citations, chansons, dialogues ou articles pour constituer une sorte d'autoportrait fait des mots des autres. J'ai collé et bricolé des morceaux choisis de textes, essais, scénarios qui ont marqué mes lectures, influences ou insomnies, de Duras à Godard, en passant par Jean Baudrillard, Cocteau, Leslie Kaplan, Kafka, Radiguet ou les Monty Python. Ici, l’ensemble rassemble des mauvaises lectures pour une mauvaise vie, et les textes indisciplinés se rangent selon l’ordre de l’abécédaire ; A comme amalgame, B comme beau gosse, C comme calomnie et D comme doigt dans le cul. Références, déférences ou colères, mon abécédaire joue les miroirs cassés et déformants; c'est un aveu au narcissisme exacerbé dont j'assume le mauvais esprit et le mauvais goût, mais dont je ne signe aucun mot." Emission coproduite par France Culture et le Théâtre du Rond-Point sur une idée originale de Jean-Michel Ribes. Enregistrée le 11 janvier 2010 au Théâtre du Rond-Point Réalisation Christine Bernard-Sugy Diffusée sur France Culture le samedi 16 janvier 2010 à 20h Durée : 59:15

Le 26 septembre 2014 à 09:44

France-Culture - 2004

C'est Noël tant pis - Journal de bord, carnet de route d'une création #2

Parcours chaotique d’un môme doué et maladivement prétentieux. Je ne me présente pas à toutes les épreuves du baccalauréat. La même année, à Chaillot, 1987, le prof nous emmène voir Electrede Sophocle mis en scène par Antoine Vitez. Evelyne Istria, là, solaire et tragique, rayonne d’une souffrance tangible, peu importe alors la parole et le mot, tout est dans les yeux, la voix, la peau d’une comédienne investie. Habitée par l’horreur d’un drame humain, souffrance matérielle reportée sur le plateau, tout est compréhensible de la guerre de l’être en proie à l’inextricable vie. Ce ne sont pas les mots qui parviennent et atteignent, c’est elle, l’existence brûlante, la chair en feu, la voix concrète du mal, de la volonté, de la puissance d’agir, la force tangible de jaillir hors du rang des morts, des assassinés. L’émotion exactement, qui agit, bouge dans l’air et parvient, traverse la peau, claque le sang. Moi, alors, je veux faire ça, n’importe quoi et n’importe comment mais ça, voir ça encore, venir encore là, continuer à entendre et à voir, à respirer cet air-là où les autres s’agitent et se pavanent pour que vivre soit moins dur à faire. Je veux voir tout, et m’y coller à mon tour, porter une parole sur un plateau, l’incarner, l’écrire, la jouer, la mettre à distance, l’étudier et la comprendre cette putain de tragédie humaine d’une existence mise à l’épreuve sans cesse. Je quitterai le lycée. Danser sur les ruines La même année encore, Jean-Louis Besson, le prof, et Chantal Mutel, intervenante artistique de la première option dramatique de l’histoire du baccalauréat supervisée par Jack Lang, à Asnières, nous emmènent aussi voir La Veillée de Deschamps et Makeïeff à Nanterre. Au désir de tragique, à l’appel de la gravité, s’ajoute le goût du rire, de la fête du spectaculaire et du décalage, de la dérision, le plaisir aussi, la fantaisie du désastre. Danser sur les ruines, ce sera ça aussi, qui constituera mon corps de spectateur. Je suis adolescent, je me vois mort dans deux ans. Je veux vivre mais je n’ai pas le temps. J’écris pour écrire, et pour ne pas lire parce que c’est trop difficile. Je quitte le lycée. Je vends des disques au Lido Musique la nuit, puis je suis manutentionnaire sur les Champs-Elysées pour la boutique Virgin Megastore qui vient d’ouvrir. Je vole beaucoup, et j’écris chaque jour, je compose, dans ma tête, j’établis mes phrases, mes mots, pour oublier les gestes répétitifs. Je fais d’autres métiers. Animateur dans un centre de loisirs à l’hôpital Beaujon. Maurice Nadeau publie mon premier roman, en 1992. La chanson de madame Rosenfelt, c’est une histoire de chanson et de temps qui est passé. La fin d’un monde, la peur de la perte du désir. Une drôle de fête J’ai vingt-trois ans. Je me voudrais bien auteur de théâtre et metteur en scène, et compositeur et musicien, alors je trouve les moyens de créer ma compagnie, de monter La Ronde de Schnitzler parce que c’est une œuvre de référence pour mon ancien prof, et de mettre en scène mes premières pièces, en 1993, et 1994, La Maman de Victor, à Clichy, et L’Ennui (d’Alice) devant les arbres à Paris, L’Européen. Nadeau est venu, je l’ai fait se lever et chanter, mon ancien proviseur de lycée aussi. Une drôle de fête. Je tente de lire Beckett, Kafka, Camus, Sarraute et Duras. Faute d’y parvenir, j’écris. Par vengeance. Plus facile à faire. À la publication du roman, je suis flatté par les propositions du Nouvel Observateur d’écrire pour les pages du programme de la télévision. Je vois plus tard Pièces de guerre d’Edward Bond, mise en scène d’Alain Françon, avec un nouvel ami journaliste qui me flatte en m’invitant à rejoindre l’Événement du jeudi où la place de critique dramatique occupée par Brigitte Salino, appelée au Monde, est vacante. J’y resterai jusqu’à la mort du titre, paix à son âme. Je deviens journaliste, critique dramatique, pendant dix ans, c’est une flopée d’effrois, d’humiliations, de malentendus, mais j’écris en secret, mêmes nécessités, je fais mon œuvre en toute discrétion. Une liberté possible et nouvelle En 2002, en près de dix ans déjà, j’ai été responsable des pages consacrées au spectacle vivant pour l’Événement, La Terrasse, Épok, pour Théâtres ou Théâtre Magazine, pigiste précaire ou rédacteur en chef. Le temps a passé, je veux finir d’être journaliste. Trop de mondanités, de violences, de jeux de séduction, de destructions, de mises à mort, d’arrogances de petit justicier redresseur de torts qui en fait beaucoup trop, de missionnaire intègre, de faux découvreur à flatter, de dénonciateur des flagorneries mais qui a du goût pour les réalités de la courtisanerie. Je vois Juste la fin du monde au théâtre de la Colline, de Jean-Luc Lagarce, mis en scène par Joël Jouanneau. Les atermoiements de la langue, la recherche des mots, leurs accidents, le langage musical et heurté, en perfectionnement, comme la situation, les confrontations de la parole, la phrase mise à l’épreuve et les sentiments, la narration, tout déclenche comme une ouverture, une liberté possible et nouvelle, dans le projet d’écriture. Le langage comme outil et sujet, et non plus comme moyen ou poème, mais comme action. La parole qui agit, qui est, matérielle comme la chair et la voix d’Évelyne Istria, la parole qui se fait sujet et atteint. Ou qui échappe à ceux à qui tout échappe, comme chez Philippe Minyana. J’écris par plagiats, toujours, en suivant des modèles, en copiste qui tente de s’affranchir. J’écris alors Clémence à mon bras, que je soumets à Jouanneau puis à Michèle Simonnet, son interprète dans le Lagarce. Je soumets la pièce à Paul Tabet pour l’association Beaumarchais. Il la soumet à Valérie-Anne Expert pour la SACD. Elle la soumet à Texte Nu que chapeaute Jean-Michel Ribes, qui la confie à Jacques Gamblin, qui la lira pour Blandine Masson et France-Culture. C'est dans le noir qu'on voit tout Dès lors, j’écrirai pour la radio. Parce que c’est dans le noir qu’on voit tout, parce que le spectateur travaille, imagine et figure, saisit les mots et les sons et se met un peu au boulot. La scène comme espace de travail collectif, poussée à son comble à la radio. L’auditeur voit ce qu’il ne voit pas. C’est son job. Pour France-Culture, Blandine Masson réalise C’est de l’être parti qu’il s’agit, avec Jérôme Kircher, Denis Lavant, Evelyne Didi. Une affaire de voix intérieures dans un deuil à faire d’un être aimé qui s’éloigne. Je travaille avec Céline Geoffroy, conseillère littéraire, qui me fait écrire et réécrire, avec qui je construis des mondes sonores, pièces aveugles. Cela donnera encore L’État de Gertrud ; Pédagogies de l’échec ; Et l’enfant sur le loup. Mais cette fois-ci, je propose d’écrire pour la radio des scènes courtes de confrontations d’individus qui ne s’entendent plus, bloqués dans des lieux fermés aux bruits identifiables, oppressions sonores courantes. Une voiture, un ascenseur, un couloir d’hôpital. Petites boîtes à sons particuliers où les individus se noient. À la scène écrite depuis peu pour les élèves de l’option, Ma mère pour en finir avec, j’ajoute alors des scènes antérieures, saynètes d’intérieurs avec sons. Les mêmes personnages s’acheminent d’abord isolés et disparates vers l’espace commun de la chambre d’hôpital. Ils s’avancent vers la catastrophe du deuil à venir de la figure matriarcale. D’abord isolés dans des espaces confinés, ils luttent contre leur peur, contre eux-mêmes, contre le lieu qui les rétrécit. Tonio et Geneviève dans la voiture. Le père et la mère dans l’ascenseur. La pièce convoque alors d’autres personnages, la fille et sa copine dans un couloir, le médecin dans une salle d’attente, qui disparaîtront plus tard. Les sons, prédominants, disent tout, racontent les êtres dans des cadres fixés. La pièce grandit. Je l’allonge de fragments courts de ces mésententes. Le tout est alors intitulé Sombre précurseur - sitcom, parce que c’est l’âge auquel je découvre Gilles Deleuze, parce que je vois, revois, veux apprendre par cœur L’Abécédaire, parce que c’est toujours plus facile à regarder, la télévision, qu’un livre à lire. Parce que Deleuze explique que « le précurseur sombre » est un terme scientifique qu’il affectionne, qui désigne le moment où des éléments disparates, des potentiels, entrent en relation pour créer un éclair, une énergie, la vie. Ce moment, le lien, cette mise en rapports entre les potentiels, nommé « précurseur sombre », c’est la création du monde en quelque sorte. On va enregistrer mon Sombre précurseur - sitcom, composé en deux parties. D’abord les éléments disparates, petits-enfants et parents, séparés par couples, dans leurs oppositions et leurs paniques, s’affrontent. Ensuite le moment de la confrontation, autour de la grand-mère mourante, des « potentiels », de ces « éléments disparates » qui se réunissent dans cette fête de famille qu’on pourra appeler aussi le carnage d’exister en tribu. J’arrive en studio, une alcôve de Radio-France, moment pour moi important, gratifiant, effrayant. Je débarque là avec un sac entier de biscuits et de bonbons. Je suis un auteur vivant qui veut participer à l’aventure de l’enregistrement radiophonique de sa pièce. Fier, flatté, heureux, veux être aimé. La fin de la parole et des mots J’arrive à la table, où Laurence Roy, Jean-Claude Dauphin, Léna Bréban, Elsa Mollien, Anne Bouvier, Alexandre Steiger découvrent la pièce. Personne ne la comprend si je comprends bien. Regards désemparés des acteurs face à l’auteur. Le silence. Pas de regards. La gêne. Je m’assieds, je me tais, je sens que j’aurais mieux fait de ne pas être là, de n’avoir pas écrit ça, de n’avoir pas écrit, de n’avoir pas raté mes suicides. Comme humilié, je mets tout sur le compte d’une parano tenace, je souris, je laisse les biscuits et les bonbons dans le sac, je les oublie ou je fais semblant. Je laisse ma queue entre mes jambes et j’attends que ça passe. Personne ne dit rien de la pièce. Pas un mot, pas une question. Myron Merson, réalisateur, fait son boulot, et très bien. La pièce existe, elle est enregistrée, sa première partie est écrite, faite de scènes courtes de confrontations des personnages séparés, réunis à l’hôpital dans la deuxième. Les difficultés du langage, ses travers, ses failles, lapsus et surdités, mauvaises routes de mots mal dits, mal compris, c’est bien de cela qu’il s’agit dans la pièce. Dans la panique d’une émotion qui les dépasse, comment des êtres s’en prennent aux leurs, comme on dit « des siens » pour dire de la famille, comment ils se lâchent comme des chiens en cage. Comment on se parle, comment on s’entend. Comment on écoute, comment on subit les bruits du monde et les voix des autres, ce qu’on en fait, comment on les prononce, les mots pour se comprendre, pour se défendre, pour s’emparer du monde, pour tenir droit et debout par la parole plutôt que de tomber dans le silence. Mais au moment de la pièce, de son enregistrement, sa première réalisation, rien. Rien de rien, le silence, la fin de la parole et des mots. Une exécution.

Le 23 décembre 2010 à 12:00

Viktor Orbán plus rapide que "Poutluscozy"

Carte postale de Hongrie

Comment devenir Poutine en son pays quand aucun pétrole ne coule en Hongrie ? Comment régner tel un Berlusconi radieux sur l'ensemble des médias nationaux, Internet compris ? Légiférer dix fois plus vite que l'hyperprésident français ? Lancer la plus grande chasse aux sorcières depuis la chute du Mur et caser ses lieutenants à tous les étages du système ? Après son élection raz de marée en avril dernier, Viktor Orbán va si vite qu'il a laissé tout le monde sur le carreau : opposition, opinion publique, presse, chancelleries, Bruxelles... En huit petits mois seulement, le nouveau Premier ministre est en passe de devenir un autocrate exerçant un pouvoir absolu sur la Hongrie — en toute légalité. Fort de son emprise sur le Parlement à Budapest (sa machine de guerre, le Fidesz, y tient deux tiers des sièges), il a pu modifier à répétition la Constitution, pomper dans le gisement des retraites privées, faire placarder son credo nationaliste dans tous les établissements publics du pays, distribuer des passeports aux minorités hongroises des pays voisins, savonner le pouvoir de la Haute cour de justice, nommer un champion d'escrime à la présidence de la République et, par exemple, un ancien Hell's Angel des "Motard Goy" à la tête de Radio Petöfi, la meilleure station musicale du pays.Sur Radio Kossuth, le France Inter magyar, un journaliste a eu le courage de faire une minute de silence à l'antenne après avoir annoncé la création d'une Autorité nationale des médias et des communications (NMHH) contrôlée majoritairement par le Fidesz d'Orbán : tous les médias, publics comme privés, devront corriger des informations jugées erronées par la NMHH, sous peine de très lourdes amendes «pour manque d’objectivité politique». Depuis son acte héroïque, on n'entend plus guère le brave homme sur les ondes de Radio Kossuth, il doit être en train de songer à une reconversion radicale.Maigres protestations : plusieurs journaux sont parus mardi dernier avec une première page vide – mais la manifestation qui a suivi n'a rassemblé que 1500 personnes. Les Hongrois sont fatigués de la politique, et Viktor en profite pour courir sur d'autres dossiers. Par exemple l'éviction du metteur en scène Robert Alföldi de la direction du Théâtre National, après qu'un parti d'extrême droite ouvertement anti-rom et anti-juif a réclamé sa tête parce qu'il était "une pédale, un pervers, un Juif indigne du théâtre national" (> pétition internationale de soutien).Ah oui, encore une chose : la Hongrie prend la présidence tournante de l'UE au 1er janvier. Viktor sera au centre de la photo. Bonne et heureuse année en Europe !

Le 12 mars 2018 à 17:29

Pierre Guillois : "Opéraporno, c'est pas moi qui ai eu l'idée !"

Opéraporno de Pierre Guillois et Nicolas Ducloux arrive le 20 mars au Rond-Point. Comme l'écrit Jean-Michel Ribes : la comédie, en faisant la satire de la pornographie "plutôt que de la rendre plus désirable encore en l’interdisant, n’est-elle pas la meilleure façon de lui ôter son venin ? Le cinéma s’en est parfois occupé, le théâtre un tantinet, l’opéra jamais. Voilà qui est fait grâce à Pierre Guillois et à Nicolas Ducloux." – Opéra ? Pierre Guillois — Il s’agit plutôt d’un bouffe ou d’un théâtre musical, mais accoler porno et opéra est irrésistible et indique mieux l’endroit de profanation sur lequel nous prétendons nous divertir avec les chanteurs. La musique légère connaît une tradition grivoise... Nous poussons seulement le bouchon un peu plus loin, époque oblige. Sous les atours « faciles » d’une œuvre libertine se cache un défi immense : celui de conduire une pièce lyrique dans les affres du sexe le plus déviant en relevant le pari d’une comédie réussie et d’une musique capable d’émouvoir.   — Porno ? — Notre opérette (donc) est plus ordurière qu’érotique. Est-ce encore de la pornographie ? Probablement pas. Mais scandaleuse oui et sexuelle absolument : l’ordre familial est pulvérisé et son ciment moral détruit à coup de sodomie, inceste, pratiques scatologiques et autres perversions particulièrement dégoutantes. Les interprètes ne seront pas exposés tels des acteurs de film X mais devront jouer de sensualité pour incarner dans toute leur complexité ces protagonistes lubriques lâchés au cœur de situations intolérables et terrifiantes.   — Comique ? — La seule clé de notre salut est l’humour. Le rire seul nous sauvera du véritable outrage. Il ne s’agit pourtant pas de prendre tout cela à la légère. En se jouant des plus grands tabous, des peurs les mieux enfouies, l’écriture prétend faire jaillir un humour particulièrement féroce. Le rire n’en sera que plus libérateur, plus puissant, provenant du plus profond, du plus intime, du plus secret de l’être – car nous avions oublié que toutes ces choses étaient possibles et combien elles étaient interdites   En partenariat avec Théâtre-Contemporain.net qui a réalisé cet entretien

Le 12 mai 2017 à 12:58

Copi fait rire Marilú Marini et Pierre Maillet dans leur loge #2

En conversation avec son metteur en scène Pierre Maillet, Marilú Marini se maquille et se prépare pour jouer La Journée d'une rêveuse (et autres moments...) d'après Copi.   Pierre Maillet — Quand la grande Marilú Marini m’a proposé del’accompagner dans une aventure autour de Copi, qu’elle a connu et qu’elle a beaucoup joué, souvent sous la direction d’Alfredo Arias (notamment l’inoubliable Femme assise, personnage récurrent dessiné par Copi pour la première fois incarnée sur une scène de théâtre),nous avons tout de suite rêvé d’une forme libre comme l’était notre « cher maître ». Copi, moi, je ne l’ai pas connu, mais je l’ai beaucoup joué aussi, avec Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier. Copi, c’est pour Marilú, autant que pour moi, un auteur emblématique, important, un ami qu’on a toujours hâte de retrouver, et de découvrir, encore. J’ai imaginé ce spectacle bien sûr comme un hommage vibrant à l’auteur, acteur, dessinateur et figure emblématique du mouvement homosexuel des années 70, mais je voulais qu’il soit aussi et surtout un hommage à Marilú Marini par le biais de son compatriote et ami. Et j’ai tout de suite pensé à La Journée d’une rêveuse.   Terrain neutre pour elle comme pour moi, inconnu du grand public. Un beau poème théâtral, énigmatique et méconnu, créé par Jorge Lavelli en 68 avec Emmanuelle Riva dans le rôle-titre... Nous avons fait un monologue du personnage central de cette pièce, qu’elle incarne comme un double féminin de Copi acteur (dans Le Frigo ou Loretta Strong : monologues mythiques et délirants qu’il jouait avec une élégance et un détachement rares et inoubliables pour tous ceux qui l’ont vu et entendu). Elle invente sous nos yeux une sorte de Blanche-Neige, plus proche de Brigitte Fontaine que de Walt Disney. Et en miroir avec tout ce matériau poétique et fictionnel, nous traversons le Rio de la Plata, un texte écrit en 1984. Conçu comme la préface d’un roman qu’il n’a pas eu le temps d’écrire, dans lequel Copi parle comme jamais, de lui, de ses origines, de l’Uruguay, de l’Argentine où il était interdit, de l’exil, et de son rapport à l’écriture...

Le 19 août 2015 à 11:11

Perdu dans Tokyo #1

Journal de l'auteur associé au Théâtre du Rond-Point

17 aoûtPremier jourParis. Paris cinq heures. Vivre à l’heure de Tokyo, il est déjà midi là-bas. Cinq heures à Paris un dix-sept août. L’air opaque des fantômes au dehors. Dedans, le silence et les acouphènes. Peur panique de partir cinq semaines. Maison dans l’obscurité plongée. Valise ouverte, prête, mais la fermer se serait partir. Je refais du café. Lundi 17 août, c’est le matin de la réouverture des portes du Rond-Point, c’est ma date de départ pour Tokyo, j’y mènerai un stage d’une semaine, j’y donnerai une conférence, et j’y finirai la mise en scène de Moi aussi je suis Datherine Deneuve, en japonais, entamée en 2010, interrompue pour cause d’accident nucléaire, tout simplement. Roissy. Décollage de Roissy, on ne peut partir plus loin, l’autre bout du monde exactement. Dans l’avion, une dame japonaise me fait demander via l’hôtesse de l’air japonaise si je veux bien céder ma place à un jeune homme dont on me dit qu’il est son fils alors qu’il pourrait être son grand-frère. Protocole déjà compliqué, j’obtempère. Devant moi, deux frères et sœurs, la vingtaine, se chamaillent, et regardent des films, lui d’animation, elle comédies romantiques. A côté, une jeune femme qui a de gros problèmes digestifs, et les odeurs qui vont avec. Juste derrière, un type qui tape comme un malade sur l’écran vidéo accolé à mon appui tête, pas de chance. J’essaie deux films, je tiens vingt minutes en tout. Je prends deux somnifères, et je ferme les yeux sur mon sort. Narita. Arrivée à Narita, Yoko et Masako sont venues me chercher. Dans le bus vers Shinjuku. Masako est en forme, on parle, beaucoup. On passe devant Disneyland. Elle désigne Yokohama, là-bas sur la gauche, je lui explique que c’est impossible, et je lui montre le Palais Impérial et le parc Yoyogi. On rit beaucoup, elle est nulle en géographie tokyoïte. Yoko sort sa brochure de Moi aussi je suis catherine deneuve, elle apprend son texte. Déjeuner en bas de l’hôtel, je découvre une soupe de canard avec nouilles dans un bistrot où fumer est possible. Promenade. Cri strident des grillons ou cigales, monstres radioactifs. Comme les corbeaux japonais, énormes bestioles, qui boufferaient nos corneilles. 19h30 Ça y est, il fait nuit noire ici. Un dix-sept août. À dix-neuf heures trente. Masako me dit que ces amis japonais n’ont pas bien compris la couverture du Charlie Hebdo, « tout est pardonné ». Ils y lisent une ambigüité. S’agit-il d’aspirer au pardon et à la paix dans le monde, mais comment alors pardonner les massacres perpétrés ? Contradiction française. On s’explique. On parle du Rond-Point, état des lieux après le 8 janvier, la position du directeur, les phrases antérieures sur les affiches et sur les sacs, « on ne vous empêche pas de croire, vous ne nous empêcherez pas de penser ». Dans le restaurant, en sous-sol, des groupes de japonais en chemisettes blanches crient, rient, boivent beaucoup et fument énormément. La cigarette n’est pas interdite dans les lieux publics.  En revanche, fumer à l’extérieur est prohibé, si ce n’est sous des kiosques prévus pour, à certains endroits très précis, avec alignements de cendriers. Contradiction japonaise.  Nuit dans Shinjuku, repérages, affiches gigantesques de Mission impossible. Des meutes de jeunes femmes filment depuis leurs portables des écrans géants sur lesquels sont projetées des images d’un éphèbe torse nu à abdos très dessinés sous une veste blanche qui chante très fort en dansant beaucoup. Retour à l’hôtel, seule connexion possible à Internet sur le socle des toilettes. Prodige japonais, le wc est doté de plusieurs propositions de jets d’eau provenant de l’intérieur du meuble, plusieurs propositions de puissance de tir et de températures du jet, avec sons artificiels pour couvrir les bruits naturels, et en sus donc une connexion viable pour l’Internet.

Le 24 septembre 2010 à 10:47

Origine. La nôtre.

Les Monstres arrivent au Rond-Point

Irruption. Ainsi naissons-nous. Sans norme ni contour. Lave mêlée, viande rouge, gènes en fusion, cheveux frisés, sexe divin, coeur au galop et pensées sans fin. Nous jaillissons refusant d’emblée ce monde où la parole ne peut dire l’immensité de nos désirs, la fureur de nos rêves et notre douleur d’exister. Nous crions, rage et panique, dès l’apparition de nous mêmes enfermés dans une peau d’humain. Le combat pour la liberté va durer quelques mois puis, sous les coups répétés de la civilisation raisonnante, notre génie considérable va se réduire en morale tiède et bon goût parfumé avec, comme seule autorisation de sortie, diverses églises où notre âme se cabossera sur des dogmes. Ainsi le bébé géant que nous sommes, l’enfant-dieu, le monstre lumineux pénètre penaud dans la cage du réel, rapetisse soudain et devient homme. Apparaît alors le secrétaire de mairie, le nouveau philosophe, le gastro-entérologue et le tennisman. Chez certains pourtant la braise des origines ne s’est pas éteinte, elle continue de raviver le souvenir de ce jardin perdu où dans une joie complice l’enfer et le paradis nous faisaient enjamber tous les horizons par-delà le bien et le mal. Ceux-là artistes ils sont. Et leurs chefs-d’oeuvre témoignent des êtres fantasques et démesurés que nous aurions dû être. De Polyphème le cyclope d’Homère au Minotaure de Dante, du Dracula de Bram Stoker au Quasimodo de Victor Hugo, des ogres de Grimm au Docteur Jekyll de Stevenson, de Phèdre dont Racine nous rappelle en un alexandrin qu’elle est la fille de Minos et de Pasiphaé, mi-femme mi-déesse, sans oublier Les Songes de la raison de Goya, Le Jardin des délices de Jérôme Bosch ou Les Monstres sacrés de Cocteau. Il en est d’autres chez qui, torturés par la norme et la loi des hommes, la braise originelle s’enflamme soudain vengeresse jusqu’à leur brûler la tête. Alors surgit de leur cervelle en cendre le seul monstre noir contenu jusque-là dans nos cauchemars et qui, le temps d’un génocide ou d’un meurtre dans une ruelle, ravage une humanité qui les étouffe. Ainsi en est-il des monstres, c’est-à-dire de nous-mêmes. Il n’y aurait pas de théâtre sans eux.> Toute la saison les monstres sont au Rond-Point : Orlan, Jacques Vergès, le champion de France de Body Building, l'homme le plus tatoué du monde, les avocats du couple Fourniret, des acteurs monstres sacrés lisent des textes monstrueux, Michel Onfray et son université populaire... Voir les liens ci-dessous qui vous renvoient vers les programmes des conférences-perfomances de la Monstrueuse université, des Lectures monstres, de l'Université populaire de Caen...

Tous nos invités
Tous les dossiers

derniers podcasts

je m'abonne :   
La masterclass d'Elise Noiraud
Live • 16/04/2021
La masterclass de Patrick Timsit
Live • 16/04/2021
La masterclass de Lolita Chammah
Live • 16/04/2021
La masterclass de Tania de Montaigne
Live • 08/03/2021
La masterclass de Sara Giraudeau
Live • 08/03/2021
Tous les podcasts

ventscontraires sur Youtube

Découvrez la chaîne
La revue en ligne du Rond-Point
Auteurs maison   Vedettes etc.   Confs & Perfs   Archives   Tous les chroniqueurs
Les vidéos   Les sons   Les images   Les textes  Nous contacter   Presse
ventscontraires.net, revue en ligne, vous est proposée par le Théâtre du Rond-Point.
Site administré par
© 2014 - CC.Communication