Jean-Daniel Magnin
Publié le 16/05/2011

Denis Robert : "Pourquoi accepte-t-on d'être dominé ?"


Interview

Nous avons déjà diffusé 8 épisodes de ton Bankenstein, la conférence-confidence-causerie amicale sur l'affaire Clearstream que tu nous avais donnée cet automne, avant la relaxe. Qu’est-ce que ça a représenté pour toi de venir dans un théâtre parler de tes coulisses intimes, alors que tu n’étais pas encore sorti d’affaire ?
Denis Robert : Ça a été très intéressant car cette situation (la scène, un public, un lieu chargé de cette histoire-là) crée une distance nouvelle par rapport à ce qu'on dit et ce qu'on est. Un théâtre est lieu de (plus de) liberté et d'expérimentation. On est dans un espace-temps différent. On sent qu'on doit être vrai. C'est étrange. Dans une université, à la télévision ou dans n'importe quelle salle de conférence, le rapport aux autres est plus codé. Le fait d'être dans l'incertitude (quant à l'issue des procès) créait une énergie, un humour particuliers. Même si j'ai gagné aujourd'hui contre l'hydre Clearstream, je ne suis pas sorti d'affaires. Ils refusent de payer leurs amendes, me poussent à reprendre le combat. Il faut une mission d'enquête parlementaire européenne. Il faut des relais. Si mes livres disent le vrai, et la cour de cassation m'autorise à le dire, alors les politiques, les juges, voire les citoyens doivent se saisir du problème. Sinon il faut accepter l'idée qu'on se fait plumer en toute connaissance de cause.

Qu’est-ce qui selon toi fait le lien entre toutes les activités dans lesquelles tu te lances : enquête, écriture, film, peinture, spectacle, et à présent une pièce de théâtre ? Où est le point nodal  ?
DR : Des questions centrales m'habitent et me taraudent... En voici une "Comment et pourquoi un pays aussi riche que le nôtre produit autant de pauvreté? "... En voici une autre "Pourquoi accepte-t-on d'être dominé ?"... Une troisième pour la route : "Où est la bonne information (la bonne place) dans cet univers en mouvement ?"... J'essaie de répondre... Mon métier de base, c'est l'écriture... Tout part de là... Les toiles ont existé car on m'a empêché d'écrire. Je parle de la censure de mes livres... Pour ce qui est de la bédé, c'est différent. C'est un vrai travail, la bédé demande un énorme recul et un gros effort de pédagogie. De l'humour aussi... Les chorégraphies ou le théâtre, c'est encore différent et plus nouveau pour moi. J'adore expérimenter et entre deux livres ou des toiles, travailler en équipe... Le point nodal, disons que c'est de ne jamais me répéter, ni m'ennuyer, de ne pas me soucier du regard des autres et d'avancer dans ma compréhension du monde et des hommes qui le composent. Ça fait un gros point nodal...

Le monde irait mieux s’il y avait plus de... ? Moins de...?
DR : Plus de contre-pouvoir, de danseurs et de danseuses, d'oiseaux de nuit... Moins d'oligarques, de policiers, de policières, de Jean-François Copé...

Le monde va comme il est c’est tout, on doit se battre dedans ?
DR : Certes

Qu’est-ce que ça te fait de passer ainsi ta vie dans les vents contraires ? On s’y sent plus seul ? Moins seul ?
DR : Je passe ma vie à avancer contre des vents contraires. J'essaie de tenir droit. Pour l'instant ça marche. Sans vents contraires, on se ferait bien suer...

> Denis Robert contre Bankenstein, feuilleton vidéo sur ventscontraires.net

Mes rêves : ouvrir à 17 ans le Boui-Boui, café d’art à Genève ; filer à Berlin ; étudier la philo à Paris ; créer des spectacles « hors théâtre » aux festivals de Nancy, Polverriggi ou Avignon ; ouvrir Mac Guffin, cabinet de scénaristes ; voir vivre mes pièces de théâtre à la Renaissance, dans le In d’Avignon, à la Bastille, au Vieux Colombier avec la Comédie-Française, et à l’étranger. Et ce rêve de rassembler les écrivains de théâtre en 2000 ; et d’écrire avec Jean-Michel Ribes le projet du Rond-Point ; et là, de mettre ventscontraires.net sur la piste d’envol.

Dernière publication, un roman : Le Jeu continue après ta mort

 

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Le 27 avril 2010 à 18:40

6 mai devant le Fouquet's

C'est une invitation, ce n'est pas un ordre

Tous les ans depuis l’élection de notre très cher président Zébulon 1er, le mouvement de résistance ludique « Les 1000 colombes », appelle au pèlerinage des insatisfaits, au Solutré des utopistes !     Ce mouvement de résistance ludique est né le 6 mai 2007 à 23h17, suite à l'apparition de l'icône des Japonais, Mireille Mathieu, sur scène lors du raout "musical" de la droite décomplexée place de Concorde. Pour fêter l'élection de Zébulon 1er, elle lâchait son tube "Mille Colombes" a capella. Une page de l'Histoire de France se dessinait sous nos yeux. Du jamais vu ! De l'inimaginable ! Même l'humoriste le plus doué de sa génération n'aurait jamais pu imaginer un tel moment. Au-delà du kitchissime et du pathétique réunis, nous étions en train d'assister à un moment surréaliste. Trop c'est trop ! Certes il faut s'incliner devant le suffrage universel – au risque d'avoir mal – mais la démocratie a des limites qui venaient d'être franchies. Bien que n'étant ni militants, ni syndicalistes, ni encartés, notre sang de gauche ne fit qu'un tour! Il fallait réagir. Quinze jours plus tard, une petite bande de loosers (nous, c'est-à-dire la bande qui était devant la télé ensemble à 23h17) organisait la première chorale des "Mille colombes" devant le Fouquet's, en l'honneur du sauveur de la nation. Pour être vraiment honnête : nous avions remarqué que ces premiers instants sonores de "gouvernance autrement"  avaient été assez mal vécus par les supporters de Zébulon (sur la scène et en dehors). Cette chorale serait donc leur madeleine de Proust mal digérée.3 ans déjà ! Comme le temps passe lentement…Pour fêter le grand timonier de la pensée universelle, nous allons refaire une chorale devant le Fouquet's à Paris. Mais cette fois en sus du petit discours de bibi (c'est pas la matière qui manque), vous aurez une fanfare, un lâcher de colombes, une distribution de billets de 500 euros pour relancer le pouvoir d’achat, de surplus de vaccins anti-grippe et de masques, de drapeaux français et bien sûr… Mimi et ses "Mille colombes", que nous allons entonner le plus faussement possible tous en chœur, pour nous achever et puis… quelques surprises. Le but de ce mouvement étant de mettre en avant, de façon humoristique, les errances et les carrences de ce pouvoir et de son idéologie, tout cela doit doit se passer dans la joie et la bonne humeur moqueuse. Regardez la vidéo ci-jointe : l'ambiance a été familiale et bon enfant, qu'elle le reste. A noter que la police a toujours été très cool avec nous, qu'elle le reste. Rendez-vous le 6 mai à 20H devant le Fouquet's. Que l'espoir soit avec nous.

Le 6 décembre 2013 à 15:52

Marius von Mayenburg: "Nous sommes tous des voleurs impénitents"

Marius von Mayenburg, auteur et metteur en scène associé à la Schaubühne de Berlin, est un des auteurs les plus inventifs du moment. Joué partout en Europe et au-delà, il voit une de ses dernières pièces, Perplex, créée au Rond-Point dans une mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia. Pièce folle qui transforme le théâtre en jeu de quilles, écrite pour ses acteurs préférés et qui ont donné leur nom aux personnages qu'ils interprètent. Jean-Daniel Magnin – Il est passionnant de suivre, d'une pièce à la suivante, la façon dont tu réinventes la forme narrative pour raconter une histoire sur scène. Exemples les plus évidents, parmi tant d'autres : ce sont les personnages qui disent les indications scéniques, ou - comme dans Le Moche – différents personnages glissent en douceur sur le même acteur. Des innovations toujours en lien avec les enjeux de la pièce. Pour toi cette "modernisation permanente" de l'écriture théâtrale est-elle nécessaire ?Marius von Mayenburg – Je ne pense pas tant que ça à la forme. Je ne veux pas m'ennuyer, je veux jouer. La plupart du temps la forme va naître par nécessité. Ou du désir de travailler avec tel ou tel acteur.– Tu y réfléchis en amont ou ça se développe durant le processus d'écriture ?– Les deux. Ce processus démarre souvent bien avant que le premier mot soit couché sur la page.– Bien sûr tout a déjà été inventé. Cependant nombre de tes innovations ont été reprises par d'autres écrivains de théâtre. As-tu le sentiment d'être observé, attendu, voire même copié ?– Non. Nous sommes tous des voleurs impénitents. Le théâtre est un art parasitaire. Nous nous servons dans des films, dans les arts plastiques, la littérature. Et chez les artistes de théâtre. Nous volons intentionnellement et sans le faire exprès, le vol est si normal chez nous que la plupart du temps on ne s'en aperçoit même pas. C'est ainsi depuis toujours (Shakespeare etc.). Le théâtre est un art fugace, voilà pourquoi personne ne se sent coupable. Si quelqu'un estime qu'il y a quelque chose à voler chez moi, je m'en réjouis.– De nos jours de nombreux écrivains de théâtre s'écartent du dialogue traditionnel au profit d'une espèce de "partage du récit", où le théâtre devient plus ou moins la communication partagée d'une histoire ou d'un conte narré face public. Qu'en penses-tu ?– Je pense qu'il nous est de plus ne plus difficile de suivre un déroulement scénique qui représente la réalité comme une suite chronologique d'événements. On le ressent comme trop autoritaire. La narration à plusieurs d'une histoire répond à un point de vue sur une réalité que nous n'éprouvons plus comme une succession causale d'événements chronologiques, ordonnés selon une hiérarchie implacable. Nous la percevons plutôt comme un réseau d'événements simultanés qui se relativisent les uns les autres. Voilà pourquoi le récit se fragmente en plusieurs voix, souvent contradictoires. Il en résulte l'illusion d'un récit démocratique : ce qui est vérité ou mensonge, c'est au spectateur de le décider. Tout est relatif. Et donc relativisé. Conflits et rencontres sont évités. Si je trouve de telles expérimentations nécessaires, elles ne sont pas pour moi l'avenir du théâtre. – Le théâtre est-il pour toi éternel ? Existera-t-il encore dans cinquante ou cent ans ?– C'est si beau de voir les acteurs au travail. Pourquoi les gens devraient-ils cesser de faire ça ?– Dernière question : quel a été ton point de départ pour Perplex ?– Au départ c'était une frustration après un travail de mise en scène avec des acteurs qui m'avaient mis à bout de nerfs. Ensuite la nostalgie et le désir de retravailler avec mes acteurs préférés : Robert, Eva, Judith et Sebastian*. Alors je me suis assis et j'ai écrit la pièce pour eux. Et j'ai mis là-dedans tout ce que j'avais envie d'expérimenter avec ces comédiens. Et ensuite on l'a fait.*Eva Meckbach, Judith Engel, Robert Beyer, Sebastian Schwarz, comédiens de la Schaubühne qui ont donné leur nom aux personnages de la pièce mise en scène par Marius von Mayenburg Perplex, de Marius von Mayenburg, traduction Hélène Mauler et René Zahnd, L'Arche éditions Photo Iko Freese

Le 2 août 2013 à 08:32

"Vous êtes tous des auteurs dramatiques"

Cet été j'écris une comédie puis une tragédie ! Jean-Michel Ribes vous tient la main

Il n'est plus admissible aujourd'hui, alors que la lune est à portée de la main, que l'on guérit et comprend tout, que vous ne puissiez écrire une pièce de théâtre - simplement parce que vous n'êtes ni doué, ni créatif, ni inventif. Nous vous proposons un certain nombre d'éléments qui vous permettront aisément d'écrire un drame ou une comédie, sans avoir un instant recours au talent que vous n'avez pas.20 personnages au choix :- Le Roi - Madame Andrée - le fils - le conseiller - la mère du conseiller - Jean-Claude - Michel son demi-frère - le capitaine de la garde écossaise - Andromaque - Andromaquette - Monsieur Peyrol (peut être anglais ou grec) - le jardinier - saint Antoine - l'Homme qui revient - Hermione - le chanteur musulman - Madame Sardine - Périclès - Richard III du Portugal12 répliques au choix et quelques rimes :1/ Bonjour2/ Tu sais, Michel, si tu continues...3/ La mer tout entière enragée t'emportera jusqu'au port.4/ Je vous rappelle que c'est ma femme que vous aimez.5/ Oui! Oui!6/ Si vous dites demain, je suppose que vous avez vos raisons!7/ Madame, s'il vous plaît... il faut qu'à petits coups de hache je me détache de vous... (Peut être utilisé au masculin en remplaçant "Madame" par Monsieur".)8/ A quelle heure tu rentres (ou "rentres-tu" si on préfère) Jean-François?9/ Juste te regarder sourire, et puis fermer les yeux, et puis t'aimer doucement au fond de moi...10/ Madame, fuyez, le Roi est hors de lui. (A dire essoufflé.)11/ -Hector? Je pensais que vous vous appeliez Alain?12/ Je pense que c'est mieux ainsi Simone, le mensonge n'a pas d'issue. (Si on est gêné par l'allitération ainSi Simone, on peut appeler Simone Bernard.)Pour ceux qui seraient tentés d'écrire une œuvre dramatique en vers, voici quelques rimes :A/ Pain, vain, matin, Simonin, alors, hein!?, cabotin, chien de chasse (enlever "de chasse").B/ Bateau, allô, pas beau, caraco, San Francisco, bateau (attention, très utilisé), Dario Moreno.C/ Chandernagor, changer de bord, alors, tribord, totor, Salvador, bague en or, cors de chasse (enlever "de chasse").4 idées de décros au choix :- la Place Saint-Marc à Venise;- la salle de bains de la fille du personnage principal;- une partie de chasse (enlever "de chasse");- un magasin de canapés.6 intrigues au choix :1/ Le père de Jean s'aperçoit qu'il est norvégien. L'avouer, ne pas l'avouer? Tout se finit bien grâce à Denise qui vient lui rendre visite dans un rêve. Il comprend que c'est elle qu'il aime, il quitte aussitôt son emploi de juriste dans une grande société dont on taira le nom.2/ Urbain de Casterheim, seigneur de Livarie, n'a qu'une fille. Cosme VII, comte d'Estremadure et de Roubaix, n'a qu'un fils. Louis le Pieux dit Louis le Brave (ou le Sérieux), évêque de Tunis, de Saint-Mandé et de Brestlitovsk, n'a qu'un rein. C'est à ce moment de l'action que débarque André, envoyé du pape Camille VI, père de trois jumeaux qui n'ont qu'un oeil.3/ Françoise aime Paul qui ne l'aime pas. Paul aime Catherine qui ne l'aime pas. Catherine aime Françoise dont le vrai nom est Liliane.4/ Jean se réveille sur une île déserte perdue au milieu de l'océan. Soudain il aperçoit son visage dans une flaque d'eau et réalise que l'île n'est pas déserte. Bouleversé il se pend. (Pour une pièce en un acte, ou un lever de rideau.)5/ Le docteur F., célèbre psychanalyste, découvre que sa patiente Mireille G. n'est autre que lui-même. Il refuse de la faire payer.6/ Koa-tang vient de mourir, sa femme Tsi-buhli le veille en silence.8 titres au choix :- Cours mon beau printemps;- La Camaraderie;- Le Cendrier attendu;- Le Tigre et la Rascasse;- L'Anniversaire de Paula;- L'Echafaud cartilagineux;- Le Décès de la veuve;- Les Alouettes suisses.Prix des places (quelques propositions) :- 2 euros;- 15 euros;- 23 euros;- 15075 euros.Une fois que vous aurez terminé votre pièce, si vous souhaitez un metteur en scène et des acteurs, vous trouverez quelques conseils pour les choisir dans un prochain article de ventscontraires.net.Bravo d'y être arrivé et merci de ne pas nous envoyer votre manuscrit. Extrait de Multilogues suivi de Si Dieu le veut, © Actes Sud, 2006.http://www.actes-sud.fr/ficheisbn.php?isbn=9782742760701

Le 1 mai 2016 à 12:45

En travaux : Venscontraires.net va devenir centre de ressources

Vous l’avez remarqué : depuis le 1er janvier aucun nouveau billet en ligne sur ventscontraires.net. Et pourtant on s'en était fait une règle d'or : pas un jour qui passe sans trois billets inédits qui déboulent de chez vous pour se glisser dans nos colonnes. Qu'il pleuve ou qu'il vente, qu'on soit le 15 août ou le 31 décembre, en cinq ans et demi ventscontraires n’a jamais pris de vacances. En tout 6252 articles, dessins, vidéos. Et 439 chroniqueurs qui se sont jour après jour liés à notre très inédite aventure collaborative. C'est comme ça la vie des revues, elles s'envolent, fières et joyeuses, sans souci de rendement, libres tant que ça dure. Sauf que cette fois la bourrasque a été la plus forte. Vous voulez son nom ? Restrictions Budgétaires. De « collaborative » notre plateforme va devenir « centre de ressource ». Voilure réduite de 80%. Nous ne publierons plus que des contenus maison : billets, podcasts et vidéos associés aux spectacles et événements du Rond-Point. Nous sommes en train de reformater la revue qui sera entièrement en connexion avec le nouveau site du théâtre. Nous conserverons bien sûr vos articles dans une rubrique indépendante d'archives consultables. Il est important de préciser que ceux qui souhaitent rapatrier leurs chroniques n'ont qu'à nous le demander ici. Nous leur restituerons leurs envois avant de les effacer du site. Avant de vous dire à bientôt, remercions nos deux millions et demi de lectrices et de lecteurs, toutes les âmes complices qui nous ont confié un jour une contribution, mais aussi Laure Albernhe, avec qui j'avais lancé la première version de la revue, et surtout Vincent Lecoq, d'abord chroniqueur repéré sur la piste d'envol, puis très vite responsable éditorial qui a invité sur le site tant de talents du Net, les plus grands noms du dessin d'humour. Nous lui souhaitons chance et succès pour ses prochaines aventures.   > Le nouveau site du Rond-Point où retrouver nos billets dans les sections "A voir à lire" et "Autour du spectacle"  > Un souvenir ? Le livre "ventscontraires" aux Editions Le Castor astral (10€)

Le 5 mars 2011 à 17:05

Denis Robert contre Bankenstein - 1

Exclusif : les coulisses de l'affaire Clearstream

Après la décision de la Cour de Cassation rendu le 2 février dernier entérinant définitivement la victoire de Denis Robert contre Clearstream, la multinationale de la finance, nous vous proposons ici un  feuilleton en vingt épisodes sur les coulisses de cette affaire. Cette conférence a été enregistrée trois mois plus tôt. DR ne savait pas encore qu’il allait gagner...Il raconte en exclusivité pour ventscontraires.net comment il a survécu face au monstre qui nous tient tous en ce moment entre ses griffes. On pourrait l'appeler Mister Finanz ou Master Subprime. Denis Robert lui préfère le nom plus XIXe de Bankenstein : « Mon monstre à moi avait un regard de poisson mort, des muscles d'acrobate, le courage d'un âne et la folie d'un oligarque russe ayant abusé de vodka. Il avait placé au-dessus de ma tête, tenue par un fil, une enclume très lourde fabriquée à Luxembourg. Chacun de mes gestes devait être lent et pensé sinon j'étais mort. »Denis Robert est aussi peintre : après les avoir recoupées, vérifiées, exploitées en tant que journaliste d'investigation, il grafitte les informations glanées lors de son enquête sur ses toiles comme on tague en courant sur un mur dangereux.> épisode suivant> en partenariat avec le site littéraire du Nouvel Observateur, bibliobs.comBankenstein, conférence-performance enregistrée au Théâtre du Rond-Point le 22 octobre 2010

Le 1 juin 2015 à 10:20

Une chose qui n'a pas le moindre mot pour la nommer

Una cosa che non ci stanno nemmeno le parole per dirla*

Si la guerre des cerveaux commence… nous sommes tous désarmés. Voilà ce que me dit Gianni. Et en fait il a raison. Des mots manquent. Et quand des mots manquent pour dire les choses, ces choses disparaissent.J'étais à Pescara pour mon travail. Je l'ai su au matin car pendant la nuit j'avais éteint mon portable et quand je l'ai rallumé j'ai vu qu'à partir de deux heures, quand la chose est arrivée, jusque vers sept heures du matin, on n'avait pas cessé de m'appeler.Je me suis dit "Oh qu'est-ce qui se passe ? Une chose est arrivée à la maison ?" J'ai appelé ma sœur. Qui décroche… et me dit "écoute, reviens tout de suite parce que…" et moi j'étais justement avec un ami et elle me dit que la femme de cet ami a eu un accident. "Mais ne lui dis rien à ton ami. Revenez tout de suite parce qu'elle s'est fait… mal! Elle s'est fait mal mal. Elle va pas très bien."Et moi, eh bien j'ai réconforté le pauvre garçon… mon ami, pendant tout le voyage.Mais à lui, ils lui avaient dit "ça n'est pas ta femme, c'est le fils de Gianni… ils l'ont tué."Pendant tout le voyage de Pescara à Naples il m'a laissé le consoler, vu ?, sans rien dire.Une fois arrivés à Naples, je lui dit "allons voir ce qui est arrivé à ta femme, d'accord ?" et là juste au dernier moment il me dit "écoute Gianni, sois fort parce qu'un policier a tué ton fils."A deux heures d'une nuit de septembre il y a  huit mois dans la banlieue de Naples, une voiture de police a percuté une mobylette avec trois gamins en selle. Un agent descend et tire, un coup un seul, il tue un gamin de seize ans. Le flic aurait trébuché c'est comme ça que serait parti le coup. Mais pourquoi son flingue était-il armé ? Les policiers ont dit qu'ils étaient à la poursuite d'un fuyard, qu'il y a une loi qui date des années soixante-dix, les années de la lutte armée en Italie, on peut faire la ronde avec l'arme prête à tirer. Mais sur la mobylette il n'y avait pas des mafiosi en fuite. Il y avait trois garçons qui roulaient vers une salle de jeu. Ils roulaient tous les trois sans casque, mais la peine de mort n'est pas prévue pour ce type de délit.Alors je vais chez la famille Bifolco. Je parle avec les frères de David, avec les  amis et puis avec Gianni le père et Flora la mère. Ils habitent dans une cave illégalement transformée en appartement.Et pourquoi est-ce qu'il vivent dans un appartement illégal ? C'est Gianni qui me répond, le père de David.En 1982 j'ai fait une demande pour avoir un appartement pour jeune couple, on venait d'avoir un enfant, Tommaso, né en 82, au mois de mai.J'ai enfin eu droit à un appartement pour jeune couple en 93.Je vais voir ce logement qui était en construction… je suis entré et j'ai vu une famille pleine d'enfants… la chose que je devais faire c'était pratiquement la guerre des pauvres. Je devais mettre dehors cette femme avec tous ses gosses. Je ne me suis pas senti de faire ça.Et pour ne pas faire la guerre entre pauvres, ils ont construit un petit appartement dans une cave et ont été condamnés à 8 mois de prison pour ça, lui et sa femme Flora. Depuis trois autres enfants sont nés. Leur fille vit toujours avec eux, avec son compagnon, avec une fillette et un bébé en route. Elle travaille pour l'Etat italien. Gagne 150 euros par mois pour servir dans une cantine scolaire. Son mari est au chômage.Je passe un jour entier chez eux. Ils m'offrent un plat de spaghetti à la tomate et basilic. Gianni me demande tu bois du vin ? Tu veux que j'envoie quelqu'un en acheter ?Oui j'en bois, mais je ne veux pas qu'il dépense un sou pour moi. Et parce que je me rends compte qu'au milieu du repas il n'y a plus de pain et lui, en le regardant à peine, dit au mari de sa fille d'aller en acheter un autre. Pour ces gens qui vivent au-delà de la fin du monde, la dignité est l'unique salut.Après le café Gianni insiste auprès de sa femme Flora. Il veut qu'elle aussi parle du fils qu'on leur a tué.Je lui dis que je voudrais recueillir une belle histoire. Une chose belle dont elle se souvient. Et Flora me dit ces beaux souvenirs, c'était les baisers qu'il me donnait sur la bouche.C'était les souvenirs les plus… lorsqu'il me prenait dans ses bras, me faisait tourner et puis soudain je perdais l'équilibre et lui me maintenait pour ne pas tomber. Il me saisissait par derrière parce qu'il était joueur, c'était un gamin qui adorait la vie.Ensuite elle raconte la nuit où ils l'ont tué. Qu'il était venu vers 11 heures et demi.  Venu mettre une veste et moi je lui disais "reviens vite, ton père n'est pas là" et lui répond "bien bien, je dors avec toi, prépare-moi mon pyjama."Je lui ai préparé le pyjama. Je l'ai mis à la place du père… que j'attendais.Un peu plus tard vers une heure et demi deux heures… à deux heures une femme m'appelle… j'étais là… j'étais là j'allais me déshabiller, j'étais en train de me mettre au lit.Un coup de klaxon… tût… tût… tû… une femme "madame, madame, David est tombé sur une patrouille" le temps de me mettre quelque chose sur le dos, que je m'habille, j'ai pris mes papiers et les siens et je suis partie en courant.J'arrive en courant sur la place et je trouve mon fils mort par terre.Les policiers étaient à côté et je leur disais "qu'est-ce que vous avez fait ? Qu'est-ce que vous avez fait?"Personne ne répondait.Je me suis agenouillée près de mon fils et je criais "David, David, David" et il ne me répondait pas. J'ai compris tout de suite qu'il était mort.Nous sommes sans armes, a dit Gianni Bifolco. La guerre des cerveaux a commencé, et un cerveau nous n'en avons pas. Il nous manque les mots. Mais pas seulement à nous. C'est ce que m'enseigne Gianni quand il me dit que s'il demandait au policier qui a tué son fils "pourquoi tu as fait ça ?"… ce policier ne saurait pas répondre. Il me dit qu'ici nous restons comme Hitler, non ? Ils ont tué les gens dans des camps de d'extermination, non ? Et je suis convaincu que si tu leur demandes "pourquoi tu as fait ça ?" ils ne pourrons jamais te répondre. Ils ne te répondront rien, parce qu'ils ne le savent même pas eux-mêmes, vu ?Et moi je voudrais trouver quel policier m'a tué mon fils. Je voudrais le voir de près et lui dire "toi… quel était le mobile ? Allez sors tes couilles! Dis-le!" Lequel a dit qu'il a trébuché et que le coup est parti. Ou alors qu'il pensait poursuivre un fuyard. Enfin bon même lui ne sait pas pourquoi il a tué un enfant de seize ans.Voilà cette chose c'est la pauvreté. Une chose qui n'a pas le moindre mot pour la nommer.   Traduit de l'italien par Jean-Daniel Magnin ____________________________________ * Se scoppia la guerra dei cervelli… siamo tutti disarmati. Così mi dice Gianni. E infatti è vero. Gli mancano le parole. E quando mancano le parole per dire le cose, anche le cose scompaiono.Mi trovavo a Pescara per lavoro. L’ho saputo la mattina perché durante la notte avevo il cellulare spento e quando l’ho acceso ho visto che dalle due, quando è successo il fatto, fino alle sette del mattino in continuazione m’erano arrivate le chiamate.Ho detto “e che è successo? Qualcosa a casa! Ho chiamato e mia sorella. Mi ha risposto… mi ha detto “guarda, scendi subito perché…” …che io stavo con un altro amico.Mi dissero che la moglie del mio amico aveva fatto un incidente. “Però non dirgli niente all’amico tuo. Scendete direttamente perché questa si è fatta… male! Si è fatta male male. Non sta tanto bene”.E io, cioè, ho confortato il ragazzo… l’amico mio, tutto il viaggio.Però a lui gliel’avevano detto “non è tua moglie, ma il figlio di Gianni… gliel’hanno ammazzato”Durante il viaggio da Pescara a Napoli lui si faceva confortare da me, capito? Però non mi disse niente.Quando sono arrivato a Napoli, dissi “andiamo a vedere tua moglie cosa si è fatta, no?” invece, poi, alla fine mi disse “guarda Gianni, fatti forza perché un carabiniere ha ammazzato tuo figlio”.Alle due di una notte di settembre di otto mesi fa in un quartiere periferico di Napoli, una macchina dei carabinieri sperona un motorino con tre ragazzi a bordo. Un’agente scende e spara un colpo, uno solo, e ammazza un ragazzo di sedici anni. La guardia dice di aver inciampato e per questo è partito il colpo. Ma perché la sua arma era senza sicura? I carabinieri dicono che stavano cercando un latitante e per una legge degli anni settanta, gli anni della lotta armata in Italia, si può girare anche con l’arma pronta per uccidere. Ma su quel motorino non c’erano camorristi latitanti. C’erano tre ragazzi che andavano in una sala giochi. Ci andavano in tre senza casco, ma non è prevista la pena di morte per un comportamento del genere.Allora vado a casa della famiglia Bifolco. Parlo con i fratelli di Davide, con gli amici e anche col padre Gianni e con la madre Flora. Vivono in una cantina occupata per farci un appartamento abusivo.E perché vivono in una casa abusiva? Mi risponde Gianni, il padre di Davide.Nel 1982 ho inoltrato la domanda per avere un alloggio come giovane coppia perché avevo già un bambino, Tommaso, che nacque nell’82, di maggio.Nel lontano ’93 mi hanno assegnato un appartamento come giovane coppia.Vado a vedere questo alloggio che era in costruzione… sono andato dentro e ho visto una famiglia piena di bambini… cioè la cosa che io dovevo fare praticamente era la guerra dei poveri. Io dovevo buttare fuori a questa signora con tutti quei figli. Io non me la sono sentita.E per non fare la guerra tra poveri si costruisce un piccolo appartamento in una cantina e si prende una condanna di 8 mesi di galera per questo abuso, lui e la moglie Flora. Nel frattempo gli nascono altri tre figli. La femmina vive ancora con lui insieme al compagno, una bambina e un altro figlio in arrivo. Questa figlia lavora per lo Stato italiano. Guadagna 150 euro al mese per servire i bambini in una mensa scolastica. Il marito è disoccupato.Ci passo un giorno intero a casa loro. Mi offrono un piatto di spaghetti col pomodoro e il basilico. Gianni mi chiede bevi il vino? Vuoi che lo mando a comprare?Io lo bevo, ma non voglio che spenda altri soldi per me. Anche perché mi rendo conto che a metà del pranzo finisce il pane e lui, con mezzo sguardo, dice al marito della figlia di andare a comprarne dell’altro. Per questa gente, che vive oltre la fine del mondo, la dignità è l’unica salvezza.Dopo il caffè Gianni insiste con la moglie Flora. Vuole che parli anche lei del figlio che gli hanno ammazzato.Io le dico che vorrei raccogliere una storia bella. Una cosa bella che lei si ricorda. E Flora mi dice che i ricordi belli erano i suoi baci che mi dava in bocca.Questi erano i ricordi più… che mi prendeva in braccio, mi faceva girare e poi io all’improvviso perdevo l’equilibrio e lui mi manteneva per non farmi cadere. Per dietro mi pigliava perché era giocarellone, era un ragazzino che gli piaceva vivereMa poi mi racconta della notte che gliel’hanno ammazzato. Dice che  lui è venuto verso le 11 e mezzo. S’è venuto a mettere un giubbino e io dissi “vieni presto, tuo padre non ci sta”e lui disse “bello, bello, dormo con te, preparami il pigiama”.Io ci ho preparato il pigiama. L’ho messo al posto del padre… che lo aspettavo.Dopo un po’ verso  l’una e mezza due… le due mi chiama una signora… che io stavo… la per lì mi stavo a spogliare, mi stavo mettendo a letto.Una suonata di clacson… pi… pi…pi… una signora “signora, signora, Davide sta sotto a un posto di blocco” Il tempo di mettermi una cosa addosso, cioè mi sono vestita, ho preso i documenti miei e suoi e sono corsa.Quando sono corsa sul posto ho trovato mio figlio morto a terra.Ci stava la guardia vicina e ci dicevo “che gli avete fatto? che gli avete fatto?”Nessuno mi rispondeva.Io mi sono inginocchiata vicino a mio figlio e lo chiamavo “Davide, Davide, Davide” e non mi ha risposto. Ho capito subito che era morto.Siamo disarmati, dice Gianni Bifolco. Scoppia la guerra dei cervelli e un cervello non ce l’abbiamo. Ci mancano le parole. Ma non solo a noi. Me lo insegna Gianni quando mi dice che se chiedesse al carabiniere che gli ha ammazzato il figlio “perché lo hai fatto”… quel carabiniere non saprebbe rispondere. Mi dice che qua stiamo come Hitler, no? Hanno ammazzato la gente nei campi di sterminio, no? E io sono convinto che se gli chiedi “perché lo hai fatto?” non ti sapranno mai rispondere. Non ti risponderanno, perché non lo sanno nemmeno loro, capito?E io lo vorrei acchiappare a questo carabiniere che m’ha ammazzato il figlio. Lo vorrei prendere da vicino e dirgli “tu… quale è stata la motivazione? Almeno cacci le palle! Dillo!” Quello dice che ha inciampato e gli è partito il colpo. Oppure che pensava di inseguire un latitante. E insomma non lo sa nemmeno lui perché ha ammazzato un bambino di sedici anni.Ecco cos’è la povertà. Una cosa che non ci stanno nemmeno le parole per dirla.

Le 16 septembre 2011 à 08:01
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