Thomas Vinau
Publié le 31/12/2011

Elsa Von Freytag-Loringhoven, clochard céleste


portrait 23

Elsa Von Freytag-Loringhoven (1874-1927) devient baronne en en épousant un. Avant cela, elle a fui sa famille oppressante et rigoriste à 18 ans, est allée de Berlin à New York et a étudié l’art. Elle en est déjà à son troisième mariage qui deviendra cinq ans plus tard veuvage. La baronne désargentée et farfelue a investi Greenwich Village. Il lui arrive de se raser le crâne, de se baigner nue dans des fontaines publiques ou de se faire des robes en petites cuillères.  
La baronne est naturellement Dada. La baronne est tout ce qu’il y a de plus Dada. Elle devient leur égérie internationale. Vedette du film de Man ray et Marcel Duchamp au titre qui est lui-même un poème : « La baronne rase ses poils pubiens ». Il lui arrive de créer des sculptures en morceaux de plomberie mais elle préfère faire de sa vie une sculpture en morceaux plomberie. Il lui arrive d’écrire des poèmes d’avant-garde mais elle préfère faire de sa vie un poème d’avant-garde. Ezra Pound ou William Carlos Williams pensaient qu’elle était un sacré bout de femme. Elle est fantasque, instable, suicidaire, cleptomane et libérée sexuellement. De retour en Europe, elle connait misère et hôpitaux psychiatriques. Tente de faire chanter André Gide ou George Bernard Shaw. Elle meurt en 1927 dans les effluves de gaz de son petit appartement Parisien. Et garde ainsi dans sa tête petits bijoux et fabuleux animaux cachés.
Né en 1978. Habite dans le sud avec sa petite famille. S'intéresse aux choses sans importance et aux trucs qui ne poussent pas droit. Est un etc-iste et un brautiganiste. Se prend parfois pour le fils de Bob Marley et de Luke la main froide. S'assoit sur le canapé. Se reprend. Décapsule. Ecrit des textes courts et des livres petits.
etc-iste.blogspot.com 

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Le 21 mars 2011 à 09:41

Sapeck

Caricaturistes et dessinateurs du monde entier (8)

Celui-ci n’est plus de ce monde. Ni des vivants ni du souvenir que d’aucuns auraient pu garder de lui jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, comme illustrateur et caricaturiste, Sapeck (1853-1891) égalait André Gill. Comme fomenteur de canulars, il annonçait Marcel Duchamp. Comme agitateur de l’espace public, il préfigurait les situationnistes. Comme mystificateur pince-sans-rire, il rivalisait avec Alphonse Allais dont il était le maître et l’ami. Sapeck le fumiste avait fait de sa vie un roman. Non, une farce. Dans la vie réelle, cette existence de détails et de contraintes qui est celle de Monsieur et Madame-tout-le-Monde, il s’appelait Eugène François Bonaventure Bataille et exerçait depuis 1883 la profession de conseiller de préfecture. Du reste, il travaillait avec zèle et ses supérieurs l’estimaient. Si bien qu’ils lui prédisaient un bel avenir dans l’administration. Lui faisait ses heures. Après quoi, il était libre. Libre de croquer des scènes de mœurs et des portraits-charge pour La Chronique Parisienne, libre de convoquer son double Sapeck et de partir en promenade avec ce personnage qui aimait en inventer autres. Tantôt un Turc, tantôt un compositeur hongrois, tantôt un inspecteur de chant dans un collège de jeunes filles, tantôt un géomètre arrêtant la circulation à un carrefour embouteillé ou un chiot dans les omnibus interdisant les canidés. A la vue de Tenny-Tenny, son minuscule toutou tassé dans une poche de son pardessus, un conducteur l’ayant prié de circuler – ce qui voulait dire en l’espèce déguerpir –, Sapeck obéit, flanqua prestement Tenny-Tenny dans un fiacre et commanda au cocher de suivre le tramway où il remonta aussitôt. Ce à quoi le conducteur, montrant les crocs, s’opposa derechef, au motif qu’il possédait un chien. Pour s’innocenter, Sapeck se dévêtit. Le conducteur n’en démordit pas et fit appeler à l’arrêt suivant un contrôleur qui, vérification faite, lui intima l’ordre de poursuivre son itinéraire. Sapeck alors imita l’aboiement plaintif du chien. Le conducteur freina net son engin, Sapeck se déshabilla et ainsi de suite jusqu’au terminus, à la grande joie des passagers. C’était un bonimenteur tel qu’il rendait chèvre n’importe qui, la maréchaussée, un marchand de musique chez qui, jouant les amoureux éplorés, il essayait mélancoliquement tous les instruments. Il savait jouer tous les registres comme il sied aux comédiens de talent et aux anti-conformistes. Dans le quartier Latin, au Luxembourg, on guettait chacune de ses réjouissantes apparitions. Car sitôt qu’il surgissait les Parisiens respiraient mieux. « L'illustre Sapeck, le grand-maître du fumisme, le beau rieur infatigable qui a osé jeter au nez des bourgeois de la rive gauche le premier éclat de rire depuis la guerre, vive Sapeck ! », s’écriait Alphonse Allais qui, comme lui, appartint au Club des Hydropathes. Sapeck donna à l'exposition des Arts Incohérents, une Mona Lisa fumant la pipe. Il envisagea sérieusement d’organiser des courses de femmes à Longchamp. Il aurait pu mettre ce projet à exécution à la façon dont à Honfleur il avait peinturluré tous les chevaux et ânes de paroissiens en pèlerinage. La peinture blanche ayant séché, ceux-ci, déconfits, durent défiler en drôles de zèbres. Les chevaux, c’était son dada à Sapeck. Il en mettait beaucoup dans ses dessins, avec de grandes mâchoires où hennissait la moquerie. Imaginez une soirée officielle du Second Empire, avec chambellan à l’entrée. Quatre fois, ce Fregoli se fit annoncer sous divers déguisements: après Bataille, conseiller de préfecture, Bataille, lieutenant de réserve puis Bataille, avocat suivi de Bataille, fumiste. Fou, il mourut à l’asile en 1891. Et non, il n’aurait pas eu cent cinquante-huit ans cette année. Puisque, précisément, il était mort en 1891.

Le 12 décembre 2010 à 09:20

Sauvons notre sève !

Ils nous ont demandé de creuser avec une petite cuillère, creuser la terre, creuser la pierre, avec une cuillère. C’est idiot c’est sûr. Mais avec les collègues, on rigole bien et on creuse un beau trou. Ils nous ont demandé de remplir des tableaux avec le nombre de cuillérées de terre par jour et par personne, le nombre de cailloux et d’insectes, calculer des pourcentages, établir des comparaisons, justifier, tracer. Totalement idiot ! Et forcément, le trou se creuse moins vite. Mais les collègues sont devenus des copains et on est des pros dans notre domaine. Ils ont remplacé nos cuillères par des fourchettes à escargot pour ne prendre que des petits cailloux et de la terre épaisse. Ils ont instauré La procédure de creusage : planter la fourchette selon un angle précis, propulser son contenu selon une trajectoire déterminée et veiller au partage des tâches entre creuseurs et propulseurs. C’est vraiment stupide mais on tient le coup. On a de la chance, on a un boulot ! Alors, ils ont apporté PGI, le prodigieux guidage intégré. Fini le travail d’amateur ! PGI est programmé pour donner au creuseur le bon geste, guidant sa main sanglée dans la direction idéale. Le propulseur est harnaché de sorte que son corps adopte la position idéale. Pitoyable résultat ! Les trous se creusent n’importe où tandis que les cuillérées de terre ou de vide se trouvent rejetées à l’endroit même d’où elles viennent d’être extraites. Et nous voilà isolés les uns des autres ! Insupportable rupture du Nous. Elément déclencheur. Assez ! Nous avons cassé PGI. Nous avons pris des pelles. Nous avons chanté. Nous avons repris possession de notre travail. Nous en vendrons peut-être le fruit mais nous en garderons la sève.

Le 14 août 2011 à 08:54

Plaisir tarifé

Le grand oral

Avez-vous déjà, lors d’une soirée, subi des propos sans esprit, truffés de lieux communs ? Passé une soirée solitaire dans un hôtel d'affaires ? Si vous avez connu cette misère intellectuelle, vous comprendrez que j'envisage sérieusement de créer une agence de prostitués de la conversation. Voilà, c'est dit. Imaginez : pas de contraintes, pas d'ajustement. Un simple coup de fil et voilà qu'arrive pour une heure, un soir ou une journée, quelqu'un capable de bavarder, à la demande, sur un mode amusant et cultivé. Il vous suffit d'exprimer votre fantasme : "à la Wilde", "à la Guitry", "à la Hagège"... Histoire, astronomie, gastronomie, philosophie, actualités, j'aurai les meilleurs causeurs à vous proposer : expressifs, dotés d'une voix splendide et d'un  énorme champ lexical, avec une diction très excitante. Je pourrai même les fournir pour des occasions spéciales : pédants pour gâcher les soirées de vos concurrents, complaisants pour mettre à l'aise vos invités timides, voire potiches en écoute passive pour tenir loin de vos hôtes les raseurs avérés.  Et pour les tête-à-tête, tout ce qui vous fera plaisir. Bien sûr, la prestation sera coûteuse car mes protégés auront de gros frais de documentation. Et puis, attention, les extras, ce sera plus cher : si vous êtes fétichiste et avez besoin d'accessoires, il faudra payer un supplément pour les dictionnaires et livres d'art. Mais quand vous aurez connu le plaisir d'avoir les méninges en ébullition, l'esprit à vif et la curiosité à son apogée, je suis sûre que vous serez prêts à y mettre le prix.  Je suis Baronne Samedi et vous m'appellerez Madame quand j'aurai fait fortune avec ce nouveau marché.  D'ailleurs, j'envisage déjà de l'élargir à la cyberconversation.

Le 9 décembre 2011 à 12:33
Le 9 novembre 2010 à 10:00

Martin Page et "La mauvaise habitude d'être soi"

Le chroniqueur de ventscontraires.net publie deux nouveaux livres

Martin Page fait partie de l'escadre de ventscontraires.net depuis le début, on peut lire ses drôles de billets là et les chroniques de Klemperer Jr, un projet qu'il a initié là. Mais ce sont loin d'être ses seules activités d'écriture. Il est aussi romancier, et vient de le prouver à nouveau avec un roman jeunesse à lire même si on a dépassé la date-limite de l'adolescence, Le club des inadaptés (Ed. L'Ecole des Loisirs). Et il est novelliste. Son dernier ouvrage paru aux Editions de l'Olivier est un recueil de sept nouvelles irrésistibles de loufoquerie, réunies sous le titre énigmatique de La mauvaise habitude d'être soi. Sept bijoux d'absurdité à l'implacable logique qui vous tournent la tête, dont voici un extrait pour ventscontraires.net. (Les illustrations du livre, tout aussi loufoques que les textes, sont signées du "Requin Marteau" Quentin Faucompré)."Je suis bien plus proche des autres depuis que je vis à l'intérieur de moi-même. La conscience de mon insularité m’a permis de réaliser qu'il est nécessaire de construire des ponts pour aller vers autrui ; qu'il n'y a rien de naturel ni d'évident. Ce n’est pas parce que l’on habite le même monde que l’on peut se comprendre et être proches les uns des autres. Au contraire. Les gens qui pensent ainsi se trompent. Il y a des zones d'ombres à l'intérieur de moi-même et cela m'effraie. J'ai peur de ce qu'elles renferment, je crains de m'y perdre. Mais comme je suis curieux et aventureux, je les explore doucement, pas à pas, avec une lampe de poche et mon appareil photo. Je fais des découvertes : des choses oubliées, qui me reviennent en mémoire quand je les vois, des choses inédites aussi, qui me surprennent. J'ai ainsi retrouvé des jouets d'enfance, des vieux meubles, des fruits en bocaux et des animaux empaillés, des nounours et des vêtements poussiéreux, des armes (revolver, fusil de chasse, piège à loup, dague) et des fioles contenant des liquides vert, mauve et rouge, des photos jaunies, des mannequins en plastique vêtus démodés, des coquillages et des pièces en or dans une boîte en fer.Habiter à l'intérieur de soi-même, c'est à la fois vivre dans un lieu familier et côtoyer l'étrangeté. Il n'y a pas de ciel, pas d'horizon, cela ne paraît pas très grand et pourtant il n'y a pas de limites. Je ne veux pas dire que j'y suis confronté à l'infini, mais, plutôt, que l'espace s'étend au gré de mes pas. Mon domicile dépend de mes explorations."(extrait de la nouvelle "A l'intérieur de moi-même" / illustration : Quentin Faucompré)

Le 23 septembre 2012 à 10:47

Mona Mailing n°5

Attendez voir si je me lève !

Dites-donc vous ne voyez pas que derrière mon écran de sfumato, je suis brûlante comme l’Etna ? Et entière ! Un jour, je vous jure, je sortirai de mes gonds. Les alarmes pourront bien hurler, je sauterai par-dessus votre fichu cordon sanitaire et je sortirai la boîte à gifles. Je ferai voler les appareils photos et les téléphones mobiles, je fendrai la foule, je dégringolerai les marches 4 à 4, et, ô jouissance absolue... j’exploserai les présentoirs. Fini la Joconde en tête de gondoles, non mais quelle infamie pour une Florentine ! Je pulvériserai les tasses, tordrai le cou aux cravates, lacérerai les livres. Je laisserai juste les cahiers de coloriage pour que les gosses et les Duchamp continuent à m’en faire voir de toutes les couleurs. Qu’est ce que ça fera du bien, depuis le temps que j’en rêve… plus de deux siècles que ce traître d’italien francisé, ce révolutionnaire césarisé m’a livrée aux peuples acculturés. Moi qui aimais tant l’intimité troublante des cabinets privés, la confidence et l’exclusivité, le souffle chaud et les doigts caressants sur mon décolleté. Que du prince, que du roi, que du gibier de choix ! Maintenant c’est le tout venant. Pas de tri sélectif, l’incessant défilé et jamais de sévices. Fini le gémissement du vernis qu’on écorche, le craquement du bois qu’on lapide, les enlèvements romantiques, les amants éperdus qui risquent la prison, les amours défendues. J’avais l’habitude avec Giocondo ! L’amour qui déchire, cris et réconciliations et pour finir la couche et de jolis enfants. Voilà, vous êtes contents : je suis cataloguée ! Me voici définitivement fille publique, en pâture. Mona Lisa, fille de joie. 9€ la passe. Produits dérivés en sus. Sauf le mardi pour cause de repos et contrôle sanitaire.

Le 3 janvier 2012 à 10:06

Les katzenjammer kids d'outre-Rhin

Les cracks méconnus du rire de résistance

La guérilla burlesque contre les cornichonneries régnantes n’a pas été menée seulement en France par les dadaïstes et les situs, aux States par les yippies et les Yes Men, en Italie par les Indiens métropolitains, ou en Suède par les zazous de Christiana. Elle a fait rage aussi dans l’austère Allemagne déjà mise à mal par les insolences de l’humoriste Karl Valentin et par les niches de Max et Moritz. C’est de fait à Berlin qu’a été lancé en 1960 par des turlupins de la très anarchisante Kommune 1 le concept de la « Spassguerilla » « revisitant les procédés de la critique sociale sur le mode de l’impertinence créatrice ». Le catalogue des coups d’éclats loufoques des artivistes d’outre-Rhin est paru en 1997 et est tout de suite devenu culte. Il propose un « arsenal de tactiques d’agitation joyeuse et de résistance ludique à l’oppression : détournements, camouflages, happenings, théâtres invisibles, attaques psychiques, entartages ». Et, grandiose nouvelle, le petit manuel irrésistible du sabotage facétieux, signé par des entités collectives énigmatiques, Autonome a.f.r.i.k.a. – gruppe, Luther Blissett, Sonja Brünzels, vient d’être traduit, adapté en français et remis en partie à jour par une vieille connaissance : Olivier Cyran de la bande à Charlie Hebdo ancienne manière, un des tout premiers loustics à avoir été lourdé par le sordide Philippe Val. Titre du guide-manifeste propulsé fin 2011 chez nous par les éditions Zones : Manuel de communication-guérilla. « Tandis que la politique radicale traditionnelle mise sur la force persuasive du discours rationnel, la communication-guérilla ne s’appuie pas sur des arguments, des chiffres et des faits, mais cherche à détourner les signes et les codes de la communication dominante. Elle travaille à intensifier la charge subversive du non-verbal, du paradoxe, du faux, du mythe. Elle se définit comme l’art de mettre de la friture sur la ligne. »   De la friture sur la ligne sapant les modèles d’identification du pouvoir, les désobéissants allemands n’ont pas cessé d’en mettre. On leur doit quelques-uns des faux donquichottesques les plus tordants du dernier demi-siècle.   Les fausses circulaires En 1992, des papillons de la régie des transports publics annoncent que, pendant le sommet de Munich, les voyages en métro seront gratos. Durant cette période, aucun contrôleur n’ose coller une amende aux fraudeurs. De même, en 1971, quand les quartiers populaires de Berlin-Ouest sont submergés par des centaines de milliers de faux tickets de métro et de faux tickets-restaurants, la répression baisse les bras.   Les faux supporters En 1969, le président Nixon serre les mâchoires lorsqu’il constate que sont venus en force à un de ses meetings surmédiatisés des cagoulards du Ku Klux Klan agitant une pancarte : « The Klan supports Nixon ».   Les faux bulletins officiels Pendant la guerre du Golfe, des communiqués portant le sceau de l’administration municipale d’Usnabrück convient les habitants de la région à se porter volontaires pour des actions suicide en Irak. La ville dénonce cette « farce morbide », signale un dépôt de plaintes, et prie les citoyens de coopérer avec les enquêteurs. Mais c’est aussi un faux.   Les faux cadeaux En 1992, chaque membre du comité de promotion des Jeux olympiques d’été reçoit un sachet de marijuana agrémenté d’un petit mot obséquieux du maire d’Amsterdam : « le Comité olympique néerlandais tient à vous faire découvrir cette spécialité emblématique de notre ville ».   Les fausses manifs Dans les seventies, des contre-manifestants yippies conspuent les policiers new-yorkais rassemblés devant la mairie pour réclamer des hausses de salaire : « Retournez en Russie, sales communistes ! », « Lavez-vous ! ». À la même époque, les Indiens métropolitains inventent les fausses manifs de droite en scandant dans les rue d’Italie : « Moins de salaires, plus de travail ! ». Boyautantes également, les manifs tonitruantes de minuit contre les tapages nocturnes.   Les fausses affiches En Grande-Bretagne, des fripons placardent à l’entrée des grands magasins des « free shopping day » (aujourd’hui, tout est gratuit). Tandis qu’on peut lire à Francfort : « Chers clients, afin de mettre à l’essai notre nouveau système antivol, nous vous demandons de bien vouloir passer par les caisses sans payer. »   Alphonse Allais, Marcel Mariën, Abbie Hoffman et les autres sultans du canular justicier peuvent dormir tranquille dans leur tumulus : de nouveaux gredins sont là pour « mettre en panique la surface des choses » (Raymond Borde) ni vu ni connu.

Le 12 novembre 2015 à 10:57

Lectures incandescentes dans l'anthropocène

Oui, ça va chauffer grâce, notamment, à quelques très enflammants livres séditieux sortis ces temps derniers qu’on peut artistiquement chauffer ou échanger contre de la braise dans les Fnac belgo-françaises. Humour incendiaire Deux monstrueuses merveilles à l’iconographie turbosoufflante. 1. Dans le ventre de Hara Kiri des super photographes-voyous Arnaud Baumann & Xavier Lambours (La Martinière) où l’on se fend frappadinguement la gueule, en format géant, avec les turlupins assassinés le 7 janvier, ils sont tous là, mais également avec les autres tueurs à gags historiques du gang bête et méchant, Cavanna, Berroyer, Vuillemin, Coluche, Willem, Copi, Gébé, Reiser, Siné. 2. Avec les mêmes fous furieux pourris gâtés de talent renforcés par Luz, Fred, Gaccio, Topor, Bouyxou ou Delépine, Ça, c’est Choron ! (Glénat) où on nous rappelle en passant que pour « l’icône des déconnants », l’abominable Professeur Choron, qui créa Hara Kiri, Charlie, La Mouise, Grodada, le comble du courage, ce n’était pas « d’arrêter de fumer mais de fumer cinq paquets par jour sans tousser ». Poésie sulfureuse La Correspondance posthume 1912-1920 d’Arthur Rimbaud (Fayard – plus de 1300 pages !) démontre à quel point le plus renommé des poètes d’en France fut aussi le pire des fouteurs de bordel, taguant sur l’église de Charleville « merde à Dieu ! », c’est bien connu, mais encore s’insoumettant à la loi militaire française, semant la zizanie avec sa canne-épée et hurlant à la lune : « Maintenant je peux dire que l’art est une sottise. », « Brisons les sceptres et les crosses ! », « Allons, feignons, fainéantons ! » Dessins impitoyables Le gargantuesque Cahier dessiné 2015 orchestré par Frédéric Pajak offre un panorama épastrouillant des dessins cinglants d’hier et d’aujourd’hui « n’étant jamais là où on les attend ». Au programme, outre les fusées d’obus de Vuillemin, Ungerer, Gébé, Copi, Reiser, Siné, Willem, les caricatures d’Hugo, les hiéroglyphes de Steinberg, les logogrammes de Dotremont, les lithos trash de Topor, les encres désaxantes d’Alechinsky mais également les crayonnages de Bruno Schulz, qui désacralisa le judaïsme, les aquarelles chaotiques d’Otto Wulz, les acryliques sur papier sulfureux de Jean Raine, les gravures profanatrices de Stéphane Mandelbaum, assassiné à la Pasolini, ou les fusains mutants du très regretté pataphysicien Olivier O. Olivier. Chansons ravageuses Grâce aux éditions du Cherche Midi, on peut enfin vadrouiller dans le Journal (et autres carnets inédits) que tint Georges Brassens entre 1963 et 1981 dans lequel les ébauches de chansons (Cupidon s’en fout) voisinent avec les confidences percutantes, les saillies provocatrices (« Parlez-moi d’amour, je vous fous mon poing sur la gueule »), les professions de foi salées (« Je tiens les religions pour un grave danger » « Je serai content quand il n’y aura plus un seul ancien combattant »), les paradoxes truculents (« J’ai beaucoup de respect pour les femmes, ces putains ! ») ou avec les aphorismes scabreux (« Il ne suffit plus au riche de s’excuser, il faut qu’il se tue »). Polars trouble-fêtes Sous le titre Tout doit disparaître, Gallimard réédite cinq des premières séries noires libertaires totalement azimutées d’un des principaux héritiers de Jean-Patrick Manchette, le romancier Jean-Bernard Pouy, qui, depuis son fameux Spinoza encule Hegel, personnifie comme pas un dans sa vie et son œuvre l’esprit « amitié et alcool, révolte et rock ‘n’ roll ». Je tiens le philosophe forain et « dépravateur de concepts » Alain Guyard, le fricasseur des formidables 33 leçons de philosophie par et pour les mauvais garçons et de La Zonzon, pour un des rares écrivains populaires furieusement inspirés de la décennie. Son dernier-né, La Soudure, qui sort à son tour au Dilettante, c’est super inventif sur le plan narratif et stylistique et c’est irrécupérable par la bonne société : ses jeunes héros, Ryan et Cindie, ont fort envie de « commencer une formation diplômante dans les métiers de la délinquance » mais y a un lézard : ils ne veulent pas devenir braqueurs, la violence les dégoûtant, ni dealers pour ne pas « empoisonner les gens avec de la came ». Qu’à cela ne tienne, c’est au cambriolage anarchisant à la Georges Darien qu’ils vont s’initier en ne s’en prenant qu’aux coffiots des « plein-de-truffe ». Court essai canon Le retour, à La Découverte, avec une nouvelle préface qui s’imposait, de Rien n’est sacré, tout peut se dire (2003) de l’ex-situ belge Raoul Vaneigem, une des meilleures charges existantes contre les multiples visages de la censure. Pour Vaneigem, comme pour un Jean Bricmont, c’est clair et net comme raclette, la liberté d’expression ne peut souffrir aucune limitation, qu’elle soit politique, morale ou juridique. « Les opinions – même les plus odieuses, les plus répugnantes, les plus hostiles à la liberté – ne doivent redouter ni censure ni sanctions. » Mais attention, tant que ce ne sont que des opinions, souligne bien Vaneigem. Et de préciser à l’heure du massacre de Charlie et du passage ahurissant du co-auteur (Robert Ménard) de Rien n’est sacré… à l’extrême droite : « Tolérance pour toutes les opinions, intolérance pour tout acte d’inhumanité. » Bédés pétroleuses Un comic strip et un illustré  féministes tout à fait au poil (c’est rare !). Journal d’une femen de Dufranne et Lefebvre (Le Lombard) qui relate de façon très documentée comment de nos jours on devient une redoutable amazone du désordre. Et La Reconstitution (Actes Sud/L’An2), l’autobiographie hyperbandante de la bédéiste-agitatrice issue de Charlie mensuel Chantal Montellier, laquelle, lorsqu’on lui demandait avant 68 ce qu’elle voulait faire plus tard, répondait fort sérieusement : « peintre maudit ». Roman sacripant Frigoussé par un prof à l’IHECS/Bruxelles étrangement facétieux, Jean Lemaître, La Révolte des Gilles de Binche (Audace/La Roulotte théâtrale), dotée d’une splendide couverture à l’huile de vitriol du compère Serge Poliart, annonce la couleur en se plaçant sous le parrainage du surréaliste pyromanesque Achille Chavée (« Il ne faut jamais ternir sa mauvaise réputation ») et en conviant d’entrée de jeu ses lecteurs à redevenir des petits garnements déchaînés narguant l’esprit de sérieux et toutes les liturgies. Livre de cinéma explosif Collaboration du chercheur à l’université d’Harvard Ben Urwand (Bayard) est une bombe. Car il dévoile la vraie raison pour laquelle les studios hollywoodiens n’ont quasiment pas produit entre 1933 et 1941 de films hostiles au régime nazi, et ont tu leur gueule à propos du sort réservé aux Juifs d’Europe. L’explication, c’est que pendant cette période un pacte secret avait été conclu entre Hitler et les big boss d’Hollywood prêts à tout pour conserver la maîtrise du marché du film en Allemagne. Livre d’art scandaleux Les éditions Allia ressuscitent les exceptionnels Entretiens avec Pierre Cabanne de Marcel Duchamp qui eurent lieu en 1966 deux ans avant que celui-ci ne casse son porte-bouteilles. L’artiste y avoue que, pour lui, « travailler pour vivre est un peu imbécile », qu’il chérit « son fonds de paresse énorme » personnelle, qu’il ne croit pas « à la fonction créatrice de l’artiste qui est un homme comme les autres », que « nous sommes tous, en fait, des artisans », que de toute façon « un tableau qui ne choque pas n’en vaut pas la peine », que « sa meilleure œuvre a été l’emploi de son temps », que d’ailleurs « chaque seconde, chaque respiration est une œuvre ». Et ça continue sur ce ton mordicant et revenu de tout qui est lui-même une œuvre.

Le 24 novembre 2015 à 08:31

L'ours bipolaire est désormais une espèce en voie de disparition

Surnommé « l’instable du Grand Nord », l’ours bipolaire vient d’être ajouté à la liste rouge des espèces menacées par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). A l’heure actuelle, il resterait moins de 300 spécimens de cette espèce qui survit dans les régions arctiques et dont le comportement parfois irrationnel joue contre sa préservation. Auto-destruction L’ours bipolaire, animal étrange aux agissements parfois incompréhensibles évoquant à la fois la mère de famille en plein baby blues ou le trader excessivement euphorique, vit exclusivement sur la banquise. Selon l’UICN, il reste aujourd’hui moins de 300 spécimens, qui vivent de manière solitaire sur la glace. Parmi les facteurs qui ont provoqué le déclin des populations d’ours bipolaires, il y a évidemment le braconnage et la perte des habitats naturels. Mais la cause principale de sa lente disparition reste le comportement même de l’ours bipolaire que les experts de l’UICN jugent « totalement imprévisible et préjudiciable pour l’ espèce même ». Car cette espèce serait la moins adaptée à la survie en milieu hostile, toujours selon l’UICN : « Les ours bipolaires sont souvent dépressifs. Ils manquent d’appétit et d’intérêt pour la chasse qui est nécessaire à leur survie. Il arrive parfois qu’ils fassent preuve d’une grande anxiété et de haine envers eux-mêmes. Autant d’éléments qui les transforment en maillons faibles de la zone arctique. » explique Lana Purlac, de l’organisation. Mais à tous ces handicaps, il faut ajouter également le caractère des ours bipolaires : « Ils ont de très fortes manies, parfois violentes. Ils peuvent passer des semaines à frapper la banquise avec leurs pattes, juste par obsession. Dans les cas les plus graves, certains sont victimes de délires et se focalisent sur des théories du complot au sein du cercle polaire. C’est une perte de temps et d’énergie considérable pour tout prédateur de ce genre. » précise également l’expert de l’UICN. Encadrer l’espèce Pour aider à combattre la disparition progressive de l’ours bipolaire, les organisations de défense des animaux militent intensément pour la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’espèce : « C’est difficile pour nous d’être dans cette situation. Déjà qu’on a du mal à protéger les animaux de l’homme, mais si en plus il faut demander aux pouvoirs publics de protéger une espèce contre elle-même, c’est très dur à faire passer comme idée. » nous explique un cadre de l’association PETA avant de conclure : « L’idéal serait peut-être de transférer les derniers ours bipolaires dans des instituts spécialisés pour qu’ils soient encadrés, quelque chose comme un zoo dans l’esprit. » Le Gorafi Illustration : iStock / RobertScottJacobs / IRCrockett

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