Jean-Michel Ribes
Publié le 01/12/2010

L'Almanach de l'auteur dramatique - décembre


En hommage à Alexandre Vialatte qui ne l'était pas

Décembre. L'auteur dramatique ne va jamais à la plage à Noël. Il aime offrir à ses amis proches des cendriers. C'est le mois où, comme le bousier sa crotte, il porte sa famille sur le dos le soir du réveillon. Il a envie d'écrire une comédie sur la Sainte Vierge mais n'ose pas, alors il fume la pipe. Souvent il s'endort l'après-midi et rêve qu'il est une cerise. Il se lève parce qu'il le faut bien et se couche sans s'en apercevoir. Sa ville préférée est Paris, son plaisir favori Paris et l'endroit où il vit est Paris.

Extrait de Multilogues suivi de Si Dieu le veut, © Actes Sud, 2006.
http://www.actes-sud.fr/ficheisbn.php?isbn=9782742760701



Auteur dramatique, metteur en scène et cinéaste, Jean-Michel Ribes dirige le Théâtre du Rond-Point depuis 2002. Il écrit et met en scène une vingtaine de pièces, dont Les Fraises musclées (1970), Tout contre un petit bois (1976), Théâtre sans animaux (2001, recréation en 2012), Musée Haut, Musée Bas (2004) et René l'énervé – opéra bouffe et tumultueux (2011)

Récemment, il signe plusieurs mises en scène : Batailles (2008) co-écrit avec Roland Topor, Un garçon impossible (2009) de Petter S.Rosenlund, Les Diablogues (2009) de Roland Dubillard, Les Nouvelles Brèves de Comptoir (2010), adapté du recueil de Jean-Marie Gourio et L'Origine du monde (2013) de Sébastien Thiéry.

Il écrit et réalise des téléfilms, des séries cultes comme Merci Bernard (1982 à 1984) et Palace (à partir de 1988) ainsi que des films, Musée Haut, Musée Bas (2008) et Brèves de comptoir (2013) qu'il adapte avec Jean-Marie Gourio à partir de son oeuvre éponyme.

Parmi ses derniers ouvrages, citons Le Rire de résistance (2007, Tome I De Diogène à Charlie Hebdo - 2010, Tome II De Plaute à Reiser), un catalogue-manifeste d'insolence, de drôlerie et de liberté. En 2013, il publie chez Points dans la collection Le goût des mots dirigée par Philippe Delerm, Les mots que j'aime et quelques autres.

 

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Jean-Michel Ribes

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Le 24 septembre 2010 à 10:47

Origine. La nôtre.

Les Monstres arrivent au Rond-Point

Irruption. Ainsi naissons-nous. Sans norme ni contour. Lave mêlée, viande rouge, gènes en fusion, cheveux frisés, sexe divin, coeur au galop et pensées sans fin. Nous jaillissons refusant d’emblée ce monde où la parole ne peut dire l’immensité de nos désirs, la fureur de nos rêves et notre douleur d’exister. Nous crions, rage et panique, dès l’apparition de nous mêmes enfermés dans une peau d’humain. Le combat pour la liberté va durer quelques mois puis, sous les coups répétés de la civilisation raisonnante, notre génie considérable va se réduire en morale tiède et bon goût parfumé avec, comme seule autorisation de sortie, diverses églises où notre âme se cabossera sur des dogmes. Ainsi le bébé géant que nous sommes, l’enfant-dieu, le monstre lumineux pénètre penaud dans la cage du réel, rapetisse soudain et devient homme. Apparaît alors le secrétaire de mairie, le nouveau philosophe, le gastro-entérologue et le tennisman. Chez certains pourtant la braise des origines ne s’est pas éteinte, elle continue de raviver le souvenir de ce jardin perdu où dans une joie complice l’enfer et le paradis nous faisaient enjamber tous les horizons par-delà le bien et le mal. Ceux-là artistes ils sont. Et leurs chefs-d’oeuvre témoignent des êtres fantasques et démesurés que nous aurions dû être. De Polyphème le cyclope d’Homère au Minotaure de Dante, du Dracula de Bram Stoker au Quasimodo de Victor Hugo, des ogres de Grimm au Docteur Jekyll de Stevenson, de Phèdre dont Racine nous rappelle en un alexandrin qu’elle est la fille de Minos et de Pasiphaé, mi-femme mi-déesse, sans oublier Les Songes de la raison de Goya, Le Jardin des délices de Jérôme Bosch ou Les Monstres sacrés de Cocteau. Il en est d’autres chez qui, torturés par la norme et la loi des hommes, la braise originelle s’enflamme soudain vengeresse jusqu’à leur brûler la tête. Alors surgit de leur cervelle en cendre le seul monstre noir contenu jusque-là dans nos cauchemars et qui, le temps d’un génocide ou d’un meurtre dans une ruelle, ravage une humanité qui les étouffe. Ainsi en est-il des monstres, c’est-à-dire de nous-mêmes. Il n’y aurait pas de théâtre sans eux.> Toute la saison les monstres sont au Rond-Point : Orlan, Jacques Vergès, le champion de France de Body Building, l'homme le plus tatoué du monde, les avocats du couple Fourniret, des acteurs monstres sacrés lisent des textes monstrueux, Michel Onfray et son université populaire... Voir les liens ci-dessous qui vous renvoient vers les programmes des conférences-perfomances de la Monstrueuse université, des Lectures monstres, de l'Université populaire de Caen...

Le 12 mars 2018 à 17:29

Pierre Guillois : "Opéraporno, c'est pas moi qui ai eu l'idée !"

Opéraporno de Pierre Guillois et Nicolas Ducloux arrive le 20 mars au Rond-Point. Comme l'écrit Jean-Michel Ribes : la comédie, en faisant la satire de la pornographie "plutôt que de la rendre plus désirable encore en l’interdisant, n’est-elle pas la meilleure façon de lui ôter son venin ? Le cinéma s’en est parfois occupé, le théâtre un tantinet, l’opéra jamais. Voilà qui est fait grâce à Pierre Guillois et à Nicolas Ducloux." – Opéra ? Pierre Guillois — Il s’agit plutôt d’un bouffe ou d’un théâtre musical, mais accoler porno et opéra est irrésistible et indique mieux l’endroit de profanation sur lequel nous prétendons nous divertir avec les chanteurs. La musique légère connaît une tradition grivoise... Nous poussons seulement le bouchon un peu plus loin, époque oblige. Sous les atours « faciles » d’une œuvre libertine se cache un défi immense : celui de conduire une pièce lyrique dans les affres du sexe le plus déviant en relevant le pari d’une comédie réussie et d’une musique capable d’émouvoir.   — Porno ? — Notre opérette (donc) est plus ordurière qu’érotique. Est-ce encore de la pornographie ? Probablement pas. Mais scandaleuse oui et sexuelle absolument : l’ordre familial est pulvérisé et son ciment moral détruit à coup de sodomie, inceste, pratiques scatologiques et autres perversions particulièrement dégoutantes. Les interprètes ne seront pas exposés tels des acteurs de film X mais devront jouer de sensualité pour incarner dans toute leur complexité ces protagonistes lubriques lâchés au cœur de situations intolérables et terrifiantes.   — Comique ? — La seule clé de notre salut est l’humour. Le rire seul nous sauvera du véritable outrage. Il ne s’agit pourtant pas de prendre tout cela à la légère. En se jouant des plus grands tabous, des peurs les mieux enfouies, l’écriture prétend faire jaillir un humour particulièrement féroce. Le rire n’en sera que plus libérateur, plus puissant, provenant du plus profond, du plus intime, du plus secret de l’être – car nous avions oublié que toutes ces choses étaient possibles et combien elles étaient interdites   En partenariat avec Théâtre-Contemporain.net qui a réalisé cet entretien

Le 22 avril 2010 à 14:43

3 salles

Ça c'est le Rond-Point

Une spectatrice quitte perturbée la grande salle du Rond-Point. En traversant le hall elle croise un ouvreur (ou un responsable de salle).  LA SPECTATRICE. – Vous avez trois salles ! C’est impossible, vraiment impossible !! L’OUVREUR. – Impossible ??!LA SPECTATRICE. – Bien sûr ! Quand je vais dans la première, au bout de trois minutes je me dis « pourquoi je ne suis pas dans la seconde ?… je suis sûre que le spectacle de la seconde est beaucoup mieux », et dès que je suis dans la seconde, je suis aussitôt traversée par l’envie d’aller dans la troisième où je suis sûre que ce qui se passe sur scène est beaucoup plus excitant.L’OUVREUR. – Madame, je crois que…LA SPECTATRICE (le coupant). – J’ai déjà vécu ça avec mon premier mari, un jour il m’a présenté son frère Paul, un grand gars tout blond et je me suis dit : « Tiens, il est peut-être plus…plus… », enfin vous voyez. Alors je l’ai épousé. Seulement Paul, deux mois après il m’a fait rencontrer son cousin Marc, un petit homme brun avec les yeux bleus et aussitôt j’ai ressenti qu’il était peut-être plus… plus… enfin vous voyez. Et à peine j’avais épousé Marc… (elle se prend la tête dans les mains) Non, croyez-moi, ce n’est pas drôle… Alors je me suis dit, allons au Théâtre du Rond-Point, ça va me changer les idées, et toc! il y a trois salles…pareil !!… je suis maudite ou quoi ? L’OUVREUR. – Je suis désolé Madame, vous voulez qu’on vous rembourse ? LA SPECTATRICE. – Non, mais peut-être vous pourriez me faire oublier. L’OUVREUR. – Oublier ? LA SPECTATRICE. – Qu’est-ce que vous faîtes ce soir ? On pourrait aller dîner ensemble parce que sincèrement je vous trouve plus… plus… L’OUVREUR. – Avec plaisir Madame, mais je ne suis pas sûr que ce soit la solution. LA SPECTATRICE. – Pourquoi ? L’OUVREUR. – La carte, Madame. LA SPECTATRICE. – La carte ? L’OUVREUR. – Du restaurant, Madame. Il n’y a rarement qu’un plat sur une carte de restaurant. LA SPECTATRICE. – C’est vrai !… Ma vie est un enfer. Effondrée elle se dirige vers la sortie.L’OUVREUR (la suivant, inquiet). – Où allez-vous Madame ? LA SPECTATRICE. – Comme d’habitude, me réfugier dans ma salle de bains. L’OUVREUR (inquiet). – Mais pourquoi ? LA SPECTATRICE. – Parce que figurez-vous que là au moins, dans ma salle de bains, il n’y a qu’une baignoire !! Elle quitte le théâtre en laissant l’ouvreur interdit. FIN

Le 16 mai 2011 à 12:00

Denis Robert : "Pourquoi accepte-t-on d'être dominé ?"

Interview

Nous avons déjà diffusé 8 épisodes de ton Bankenstein, la conférence-confidence-causerie amicale sur l'affaire Clearstream que tu nous avais donnée cet automne, avant la relaxe. Qu’est-ce que ça a représenté pour toi de venir dans un théâtre parler de tes coulisses intimes, alors que tu n’étais pas encore sorti d’affaire ?Denis Robert : Ça a été très intéressant car cette situation (la scène, un public, un lieu chargé de cette histoire-là) crée une distance nouvelle par rapport à ce qu'on dit et ce qu'on est. Un théâtre est lieu de (plus de) liberté et d'expérimentation. On est dans un espace-temps différent. On sent qu'on doit être vrai. C'est étrange. Dans une université, à la télévision ou dans n'importe quelle salle de conférence, le rapport aux autres est plus codé. Le fait d'être dans l'incertitude (quant à l'issue des procès) créait une énergie, un humour particuliers. Même si j'ai gagné aujourd'hui contre l'hydre Clearstream, je ne suis pas sorti d'affaires. Ils refusent de payer leurs amendes, me poussent à reprendre le combat. Il faut une mission d'enquête parlementaire européenne. Il faut des relais. Si mes livres disent le vrai, et la cour de cassation m'autorise à le dire, alors les politiques, les juges, voire les citoyens doivent se saisir du problème. Sinon il faut accepter l'idée qu'on se fait plumer en toute connaissance de cause.Qu’est-ce qui selon toi fait le lien entre toutes les activités dans lesquelles tu te lances : enquête, écriture, film, peinture, spectacle, et à présent une pièce de théâtre ? Où est le point nodal  ?DR : Des questions centrales m'habitent et me taraudent... En voici une "Comment et pourquoi un pays aussi riche que le nôtre produit autant de pauvreté? "... En voici une autre "Pourquoi accepte-t-on d'être dominé ?"... Une troisième pour la route : "Où est la bonne information (la bonne place) dans cet univers en mouvement ?"... J'essaie de répondre... Mon métier de base, c'est l'écriture... Tout part de là... Les toiles ont existé car on m'a empêché d'écrire. Je parle de la censure de mes livres... Pour ce qui est de la bédé, c'est différent. C'est un vrai travail, la bédé demande un énorme recul et un gros effort de pédagogie. De l'humour aussi... Les chorégraphies ou le théâtre, c'est encore différent et plus nouveau pour moi. J'adore expérimenter et entre deux livres ou des toiles, travailler en équipe... Le point nodal, disons que c'est de ne jamais me répéter, ni m'ennuyer, de ne pas me soucier du regard des autres et d'avancer dans ma compréhension du monde et des hommes qui le composent. Ça fait un gros point nodal...Le monde irait mieux s’il y avait plus de... ? Moins de...? DR : Plus de contre-pouvoir, de danseurs et de danseuses, d'oiseaux de nuit... Moins d'oligarques, de policiers, de policières, de Jean-François Copé...Le monde va comme il est c’est tout, on doit se battre dedans ?DR : CertesQu’est-ce que ça te fait de passer ainsi ta vie dans les vents contraires ? On s’y sent plus seul ? Moins seul ?DR : Je passe ma vie à avancer contre des vents contraires. J'essaie de tenir droit. Pour l'instant ça marche. Sans vents contraires, on se ferait bien suer... > Denis Robert contre Bankenstein, feuilleton vidéo sur ventscontraires.net

Le 23 septembre 2015 à 16:06

Perdu dans Tokyo #12

Journal de l'auteur associé au Théâtre du Rond-Point

Jeudi 17Tchèques et BarthesDans le métro, une heure de Tchèques, touristes à voix forte. Ils se parlent depuis des rangées qui se font face, sans être proches, de loin en loin, de plus fort en plus fort, dans ces transports où le silence fait loi, et la discrétion règne, jusque là. Eux s’en foutent. Ils gueulent, rient, crient. Brice me lit des extraits de « L’empire des signes », Barthes raconte cette satisfaction éprouvée à entendre un brouhaha de langue inconnue, non maternelle, d’où il ne discerne ni les niveaux de langue, ni les classes sociales, ni les humeurs, ni la grossièreté ni la vulgarité des individus qui parlent. Ceux là sont vulgaires et grossiers, mais ils nous épargnent le sens, on n’a que le son, c’est trop mais on tient. On se couvre de honte pour les Occidentaux, on ne veut pas être assimilés, on s’écarte en demandant pardon pour eux à tout le monde, on porte la misère de la vulgarité tchèque sur nos épaules, on en fait trop. On est puni le lendemain matin, à huit heures au petit déjeuner, une meute de séminaristes français d’une entreprise de transports sans doute envahit les salles, ils sont bruyants, balourds, malpropres, ils déballent leurs voix du matin rocailleuses et s’interpellent au-dessus d’une foule de gens tranquilles, mal réveillés et taiseux qui aspiraient à la paix avant de retrouver cette France gueularde, où dans chaque groupe tout le monde devient petit.   Vendredi 18OdaibaSous la pluie incessante, ville plongée dans une eau permanente, comme noyée dans un nuage lourd, Tokyo n’est plus visible. On se réfugie à Shinagawa, on se perd des heures hors de la gare, s’enferme dans un aquarium avec spectacle de dauphins domestiqués, sautillants, frétillants, pauvre théâtre de l’aliénation, cirque grandiose avec bêtes sauvages soumises par d’étranges bipèdes en collants moulants qui font des tours de bassin hissés sur leur museau et leur balancent les sardines qui avilissent. Des méduses, un aquarium avec passage sous tube et toit de raies géantes que croisent des requins-scies. Des enfants hurlants sous leurs casquettes jaunes, et plus loin, à Odaiba, une grande roue de cent-soixante mètres de hauteur d’où on ne voit rien, tout perdu dans un ciel plombé, grisé de flotte. On quitte cet hiver blanc pour rejoindre la salle de théâtre. Troisième ce soir après une matinée à 14h, c’est la coutume. Salles pleines. Tout se passe à merveille et de commentaires. Comédiens meilleurs encore. Ils m’ont suggéré de rester en loge, ils ne veulent pas m’avoir en face. Ils se lâcheront mieux, davantage. Durée ce soir, une heure vingt et vingt secondes. Avec You et les acteurs nous convenons qu’il faut déplacer cette production à Paris. IncongruitésLa fête d’halloween se prépare, beaucoup de jouets, de déguisements, de citrouilles en caoutchouc. On trouve aussi une fausse moustache d’Hitler, collée à une image de la bouche du type, photographiée depuis une statue de cire, probablement. Je n’avais jamais vu ça, le postiche d’Adolphe. Le même jour, on découvre des croissants à la glace et au haricot noir en forme de poissons, au cœur du quartier Ebisu, espace vallonné perlé de petites rues à cafés chics, situé quelque part entre Amsterdam et San-Francisco. On mange des chouquettes à la crème vanillée. Je constate que les abribus sont montés à l’inverse des nôtres ; la structure verticale est placée du côté de la route, et non sur le trottoir. Ainsi l’abri bus n’est plus un obstacle pour tous ceux qui se foutent d’avoir un arrêt de bus sur leur passage. On croise des enfants, petites filles surchargées, qui portent un parapluie et un à deux sacs en plus de leur cartable gigantesque, carapace cubique. Les gosses de six ans prennent le bus et le métro, seuls. Et calmement. Jolis uniformes bleus-marine et blancs. Shorts, jupes, et casquettes ou chapeaux blancs. Je croise beaucoup d’établissements chirurgicaux pour la face et pour les dents. Remonter les sourires, soigner la dentition. J’avais été frappé, lors de mes quatre précédentes venues au Japon, par la multiplicité des dentitions délirantes, notamment chez les jeunes gens. Dents dessus dessous, sur le devant, par derrière, chevauchantes, bizarroïdes, enchevêtrées. Cette année, constat très différent. Beaucoup d’établissements de soins dentaires, beaucoup moins de bouches cassées. En revanche, ces cinq dernières années, je courais la nuit en cachette dans les Seven Eleven pour acheter du mauvais sucre, des saloperies saturées. J’en étais frustré, en manque. Le sucre était absent de la ville. Aujourd’hui, des boulangeries ont fleuri dans tous les quartiers, magasins spécialisés, brioches, cheese-cakes, chaîne de donuts américains, chaîne Eric Kayser, glaces aux fruits et crêpes glacées. Pour finir la journée et la liste des incongruités, je découvre par hasard une version japonaise de J’ai besoin de toi, j’ai besoin de lui, de Nicole Croisille, par Koshiji Fubuki. Et je définis une nouvelle quête désormais pour nos deux derniers jours, un nouveau défi ; trouver des Kit-Kat au thé vert pour les copines. Samedi 19Journée passée sous les faucons de Kamakura, qui planent au-dessus de la mer et des crânes des bouddhas. Longer le fleuve de Yokohama, avec éruptions de poissons volants ; sauts de un à deux mètres. Les avenues désertes, les ruelles bondées. Instinct grégaire autour des soldes, on vend des fringues à la criée. Le soir, au théâtre, venue attendue de maître Fujii, universitaire et spécialiste de Rambert et Fisbach, salle attentive, à l’écoute, studieuse. Amabilités puis il file manifester contre Abe et son neuvième amendement. L'amie Yuko, interprète officielle de François Ozon au Japon est là aussi. En soirée, les membres de la Directors Japan Association, Kenichi Shinomoto et Hyo Hirota, organisateurs du stage, et des stagiaires. Beaucoup de rires, d’agitation dans la salle.Shinjuku GardenYuko me suggère d'écrire une pièce inspirée par le Japon, "une grande et belle histoire d'amour tragique" dit-elle. Elles le sont toutes, partout. Au jardin de Shinjuku, il y a un jardin japonais, élégants, sinueux, compliqué et apaisant ; un autre anglais, touffu, paresseux, calme et dégagé ; un troisième français, rectiligne, droit, apprêté, et prétentieux. C'est la manière qui change. Pour le reste. Vivre est une tragédie et l'amour une catastrophe, ici aussi. Mais il y a la manière. Et il y a les exceptions. Dimanche 20DernièreDernier jour de l’aventure au Japon. Dernière représentation. Hier, matinée, une heure dix-neuf et trente secondes. Le soir, une heure vingt et seize secondes. Dernière matinée, dimanche 26 septembre, une heure, dix-neuf et trente six secondes. Ponctualité japonaise. La pièce est devenue grave, une tragédie drôle à force d'être irrecevable. Écrin noir, lumières découpées, couleurs, jeu intensifié, pas de distance, mais des folies, des langages opposés, des contradictions tragiques, des maladies de la parole et de l’amour qui ne sait pas se dire. Et la noirceur loufoque d’un humour féroce pour ne pas sombrer. Brice m’engueule, me dit que je ne peux pas attendre que les gens s’esclaffent devant mes pièces si je décide de les monter comme des tragédies.  Démontage immédiat, tout le monde se plie en quatre, agitation, bousculade, pour vider le lieu, démonter le décor, ranger les costumes que Michiru vend à bas prix aux comédiens. Personne ne veut se séparer de sa peau de scène.Quatre cent cinquante mètresEn haut de la Skytree, à quatre cent mètres au-dessus du sol, les touristes coréens, vietnamiens, chinois et occidentaux se bousculent, piaffent, se piétinent, laissent hurler leurs enfants rois. Dehors, une sorte de gouttière, à quatre cent mètres du sol, où une petite tornade remue une dizaine de grillons morts, jetés par les vents, échoués sur les vitres et tombés là. En dessous, beaucoup de piscines japonaises construites sur les toits des immeubles. La ville semble calme, ordonnée. Mais là-haut, aucune des règles de respect, en cours dans les rues, sur les quais des métros, sous l'emprise du collectif tout puissant, n'est plus observée dans ce nid touristique achevé il y a trois ans, encore moins ce dimanche, jour de relâchement. Jour de fête. Dehors, on se déguise. On croise dans le métro deux lapins et un extraterrestre. On court dans Asakusa, Akihabara, Ueno, voir une dernière fois le panda avant la fête de dernière, dans un café voisin. Embrasser les otaries endormies, possible joli titre. Des mots de Yoko Kanze, la marraine de l’aventure, depuis cinq ans, elle porte tout, à bout de bras, les mots des comédiens, Akiko, Natsuki, Kaze. La fête est finie, on est ivres, on rit fort, il y a des larmes, aussi. Rapporter des merdouilles, faire les valises, une lessive, les adieux, une nuit complète de plus de cinq heures, et partir ce lundi 21 septembre, c’est mon anniversaire, à l’aéroport de Narita, décollage imminent, et c’est la fin de l’histoire.

Le 23 décembre 2010 à 12:00

Viktor Orbán plus rapide que "Poutluscozy"

Carte postale de Hongrie

Comment devenir Poutine en son pays quand aucun pétrole ne coule en Hongrie ? Comment régner tel un Berlusconi radieux sur l'ensemble des médias nationaux, Internet compris ? Légiférer dix fois plus vite que l'hyperprésident français ? Lancer la plus grande chasse aux sorcières depuis la chute du Mur et caser ses lieutenants à tous les étages du système ? Après son élection raz de marée en avril dernier, Viktor Orbán va si vite qu'il a laissé tout le monde sur le carreau : opposition, opinion publique, presse, chancelleries, Bruxelles... En huit petits mois seulement, le nouveau Premier ministre est en passe de devenir un autocrate exerçant un pouvoir absolu sur la Hongrie — en toute légalité. Fort de son emprise sur le Parlement à Budapest (sa machine de guerre, le Fidesz, y tient deux tiers des sièges), il a pu modifier à répétition la Constitution, pomper dans le gisement des retraites privées, faire placarder son credo nationaliste dans tous les établissements publics du pays, distribuer des passeports aux minorités hongroises des pays voisins, savonner le pouvoir de la Haute cour de justice, nommer un champion d'escrime à la présidence de la République et, par exemple, un ancien Hell's Angel des "Motard Goy" à la tête de Radio Petöfi, la meilleure station musicale du pays.Sur Radio Kossuth, le France Inter magyar, un journaliste a eu le courage de faire une minute de silence à l'antenne après avoir annoncé la création d'une Autorité nationale des médias et des communications (NMHH) contrôlée majoritairement par le Fidesz d'Orbán : tous les médias, publics comme privés, devront corriger des informations jugées erronées par la NMHH, sous peine de très lourdes amendes «pour manque d’objectivité politique». Depuis son acte héroïque, on n'entend plus guère le brave homme sur les ondes de Radio Kossuth, il doit être en train de songer à une reconversion radicale.Maigres protestations : plusieurs journaux sont parus mardi dernier avec une première page vide – mais la manifestation qui a suivi n'a rassemblé que 1500 personnes. Les Hongrois sont fatigués de la politique, et Viktor en profite pour courir sur d'autres dossiers. Par exemple l'éviction du metteur en scène Robert Alföldi de la direction du Théâtre National, après qu'un parti d'extrême droite ouvertement anti-rom et anti-juif a réclamé sa tête parce qu'il était "une pédale, un pervers, un Juif indigne du théâtre national" (> pétition internationale de soutien).Ah oui, encore une chose : la Hongrie prend la présidence tournante de l'UE au 1er janvier. Viktor sera au centre de la photo. Bonne et heureuse année en Europe !

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