Christophe Esnault
Publié le 30/11/2012

Romanciers, élevés en batterie


Vous lisez des romans

Vous lisez des romans (ou pire, vous en écrivez). On ne peut pas vous attacher à la pierre, on ne trouve à peu près rien d’autres sur les tables des libraires. Nous sommes au XXIème siècle (enfin il semblerait…), mais ce qui est jeté dans votre auge est quand même très XIXème (narratif, chapitré (par ailleurs souvent plan-plan, délicieusement ennuyeux ; plus cela caresse le besoin des lecteurs et plus la langue est pousse-cailloux. Vous lisez des romans et leurs auteurs ne risquent en rien d’être assassinés pour leur « travail », rien ne parvient à effaroucher l’octogénaire la plus réactionnaire, pas même les grumeaux du style. Le genre (le sacro-saint roman) est à bout de souffle. Juste un produit « économiquement rentable » pour lequel il n’y a plus rien à attendre. Je pourrais en écrire une dizaine et je ne me distinguerai en rien des auteurs que je bichonne au chalumeau. Le roman qui n’explose pas les codifications du roman (relire Sterne, Delteil, Vian…) ne mérite pas d’être soulevé. Vous me trouvez excessif, revenez dans deux siècles, l’histoire littéraire aura gommé indifféremment tous les auteurs qui aujourd’hui (grâce au lumignon bienveillant des meilleures chroniqueuses ou aux spots de la critique consanguine) se prétendent stupidement être des écrivains.

Né en 1972. Réside en Neuroleptie. Ecrit comme un insuffisant respiratoire cherche de l’air… Traumatisé par les innombrables lectures du sublime  4.48 Psychose de Sarah Kane. Co-parolier et filmeur du groupe Le Manque. Un livre paru : Isabelle à m'en disloquer aux éditions Les doigts dans la prose.

http://lemanque.free.fr/

 

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Christophe Esnault

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Le 11 février 2012 à 08:02

La publicité, ou l'art de maquiller le cadavre

Ô temps de cerveau disponible, reprends ton vol ! Pitié ! La pub, c'est un peu la voix du sage, celle qu'on refuse d'écouter. Pas la sagesse bouddhiste, c'est vrai, ni taoïste, je l'accorde, ni épicurienne, ni rien du tout. Non, là, c'est nouveau, ça vient de sortir ! Et nous les récalcitrants, enfin, certains d'entre nous (je ne parle pas de moi), on ferait n'importe quoi pour échapper à la réclame. On commence par boire pour prétexter d'aller pisser pendant la pub, et on finit par boire pour oublier qu'on la regarde. Mais on la regarde. Et « beaucoup plus » qu'un produit, on nous vend le monde tel qu'il devrait être. Le : « beaucoup plus que... » sert à montrer la valeur ajoutée du truc. Résultat, on croit bêtement acheter de la soupe et on se retrouve à partager un repas convivial en famille. Merci ! J'avais pourtant acheté la brique en format individuel ! On nous parodie honteusement Simone de Beauvoir pour vendre du Blédina : « On ne naît pas mère, on le devient. » Est-ce à dire que les femmes se font baiser, dans l'histoire ? Mais non, enfin ! Et cette autre pub pour une voiture : « Sans cœur nous ne serions que des machines. » Résultat, dans les chaines de l'usine où on la construit, la bagnole, on a entendu des DRH dire aux ouvriers : « Allez, les mecs, vous avez compris : on met du cœur à l'ouvrage ou on vous remplace par des machines ! » Car oui, parfois les slogans tiennent leurs promesses...

Le 28 mars 2011 à 10:31

Libérez la fiction !

Quand j’étais gosse, le dimanche chez ma grand-mère, je m’ennuyais ferme, je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Ses magazines, parfois. Je me souviens, j’étais frappée par la mention Vu à la télé qui ornait les publicités. Dans les années 70, coller ce bandeau sur un produit c’était lui attribuer un sacré gage de fiabilité, la légion d’honneur. Ça faisait vendre. Depuis quelque temps, un label du même genre est apparu, sur les affiches de films. Vous avez le choix entre Inspiré de faits réels ou D’après une histoire vraie. Cette étiquette est elle aussi censée rassurer. Elle dit au spectateur : « Attention l’ami, ce que tu vas voir n’est pas né de l’imagination féconde d’un artiste, parle pas de malheur, c’est arrivé pour de bon. Certes, un scribouillard a mis l’histoire en forme, mais elle aurait pu être écrite par un autre, car l’auteur là on s’en tape. L’essentiel c’est que TOUT ce qu’on te raconte soit vrai. » Ce label Vrai de chez vrai, il me hérisse, et je reste polie. Pourquoi la réalité serait-elle plus intéressante que la fiction ? D’où ça sort, qui l’a décrété ? C’est juste une manière de museler les créateurs en laissant entendre qu’ils n’ont plus rien à dire, une façon sournoise d’endormir les spectateurs aussi, de bouter l’inventivité hors de la cité. La vraie vie est un matériau superbe, on le sait merci, mais elle n’est pas l’œuvre finale. Un artiste s’en nourrit par bouchées mais après il la digère, il la recrache avec ses tripes à lui, son point de vue. Créer n’est pas recopier. Jusqu’à présent, il semble que le théâtre soit à peu près épargné par ce fléau. Tant mieux. Car je ne veux pas savoir si Othello a existé en chair et en os, je me fous de croiser Vladimir et Estragon sur le trottoir d’en face. En vérité je vous le dis : j’ai horreur du réel !

Le 1 juillet 2011 à 08:29

Ce que veulent les femmes

Pubologie pour tous

En publicité comme en politique, on a besoin d’une opinion publique. On l’appelle « les gens », « les Français », « la ménagère » ou « Monsieur Dugenou », mais la réalité de base est toujours la même : il existe une kyrielle de personnes différentes, avec des avis différents, des besoins différents et des aspirations différentes, mais aussi un peu pareils des fois. Et il faut en faire un tout compact et transparent, qu’on peut facilement saisir et qui offre des généralisations bien pratiques, du type « les Français veulent plus de sécurité » ou « la ménagère veut qu’on lui vende du rêve ».En publicité comme en politique, il n’est pas question de tirer cette opinion publique vers l’avant. Il est question de la suivre. De la comprendre au mieux. De savoir de quoi parlent tous les Monsieur Dugenou et les Madame Duchemin quand ils prennent le thé. Mais en publicité comme en politique, on ne croise pas Monsieur Dugenou et Madame Duchemin tous les jours (on a arrêté de prendre le métro, c’est sombre et ça pue la pisse).En publicité comme en politique, Monsieur Dugenou et Madame Duchemin sont donc des graphiques en bâtons, des courbes, des camemberts et de bons vieux clichés réacs. Une pincée de mépris et l’on obtient des certitudes sur ce qu’ils veulent entendre. Et l’on a bon espoir que si on leur dit ce qu’ils veulent entendre, ils nous donneront ce qu’on attend d’eux.Dans une France où tout le monde penserait ainsi, la peine de mort aurait cours, l’on avorterait encore avec des kits de loisirs créatifs et la publicité ne serait que le tas infâme et fade de clichés que cette chronique essaie de dénoncer.Et maintenant, une parenthèse de fiction théâtrale (toute ressemblance avec des faits réels est probablement garantie par une étude d’opinion) :MONSIEUR DUGENOU. - Ah vous verriez ma petite-fille. A 6 ans c’est déjà une vraie petite femme. Comme elle minaude ! Tout ce qu’elle veut, elle l’obtient ! MADAME DUCHEMIN. - C’est celle dont les parents ont divorcé ?MONSIEUR DUGENOU. - Non, ça c’est mon autre petite-fille. Mon fils n’a pas aimé que sa femme lui fasse un gosse dans le dos. Il était pas prêt vous voyez. Mais c’est comme ça les femmes, quand y’a les hormones qui se réveillent, elles peuvent pas attendre. Elles sont faites pour ça après tout !MADAME DUCHEMIN. - Ah ben oui hein, c’est la nature. Les femmes elles ont le charme pour elles, les hommes c’est la force. Il faut respecter ça.MONSIEUR DUCHEMIN. - C’est bien vrai ça : il faut respecter la nature. Tenez, les homosexuels, moi j’ai toujours dit : c’est contre-nature. C’est qu’ils ont pas essayé d’être normaux, ou que ça s’est mal passé. J’ai toujours dit : un homme, ça ne peut pas résister à une belle femme !MADAME DUCHEMIN. - Bien sûr. Y'a quoi à la télé ce soir ?

Le 1 avril 2010

Comment devenir un grantécrivain (1)

Dans son ouvrage "Les rillettes de Proust", Thierry Maugenest vous donne des trucs pour accéder enfin à la gloire littéraire

Nycthémère ! Évitez d’employer des mots dont les sonorités trompeuses seraient préjudiciables à vos écrits. Ainsi, les termes utilisés dans le texte ci-dessous, pourtant dénués de toute grivoiserie, suggèrent au premier abord une atmosphère bien différente de celle recherchée par l’auteur : L’ardent Antonio Vernice, harassé par une nuit de formications et par la croupade nerveuse de la haquenée qui s’agitait entre ses jambes, vit enfin le jour se lever, éternelle resucée d’un plaisir solitaire. Il repoussa sa cuculle et murmura pour lui-même :– Quel nycthémère ! Cette chevauchée m’a épuisé.Il voulut se reposer, mais les effluves d’un phallus impudique le firent fuir. Peu après, une ultime ruade et il s’arrêta enfin, l’œil réjoui par des trique-madames  en fleur et des verges d’or épanouies. Tandis qu’il entamait une miche par la baisure, en réservant une lèche pour son téton-de-Vénus, il aperçut une marie-salope qui mouillait près de lui. Il se demanda aussitôt quelle position adopter.– Je pourrais la haler par son tire-veille, se dit-il, mais je peux aussi y monter d’un saut de caracul.Inédit  Formication n.f. : fourmillement dans un membre. Croupade n.f. : saut d’un cheval qui rue. Haquenée n.f. : cheval ou jument de taille moyenne, d’allure douce. Resucée n.f. : reprise, répétition. Cuculle n.f. : capuchon de moine. Nycthémère n.m. : durée de vingt-quatre heures comportant un jour et une nuit. Phallus impudique n.m. : champignon exhalant une odeur repoussante. Trique-madame n.f. : plante grasse. Verge d’or n.f. : plante herbacée à fleurs jaunes. Baisure n.f. : côté par lequel deux pains se sont touchés dans le four. Lèche n.f. : mince tranche de pain. Téton-de-Vénus n.m. : belle variété de pêche. Marie-salope n.f. : bateau à fond mobile servant à transporter les produits de dragage. Mouiller : jeter l’ancre. Tire-veille n.m. : filin servant de rampe à l’échelle extérieure d’un navire. Caracul n.m. : mouton d’Asie élevé pour sa fourrure.(Un texte extrait de l'ouvrage Les Rillettes de Proust et autres fantaisies littéraires, paru aux Editions JBZ & Cie)

Le 8 juillet 2010 à 07:00

Maman (1)

Dialogues de quartier

- J’ai lu ton livre… Ça m’a un peu secouée.- Je t’avais prévenue, maman, ce n’est pas une histoire très divertissante. - Non, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est loin de la vie que nous avons bâtie, ton père et moi. - C’est sûr. - Mais déballer l’histoire des quenelles, quand même, c’est un peu dur à avaler. - Quelles quenelles ? - Non, je sais, tu ne dis pas explicitement que ce sont mes quenelles de poisson, mais je suis ta mère et je sais lire entre tes lignes. Quand tu dis que tu es devenu ce que tu es devenu parce que je faisais tous les dimanches la même chose… Je ne sais plus ce que tu as inventé… « sempiternelle », tu dis… Et que c’était chaque fois aussi dégueulasse …  « Dégueulasse » ce mot là je l’ai en travers de la gorge ! - Mais maman, la mère de mon bouquin ce n’est pas toi, c’est la mère du personnage. C’est un roman noir ce n’est pas une autobiographie. - Peut-être, mais ça, les gens ne le savent pas ! Je faisais la panade, moi-même je te signale, dès le samedi soir et le poisson venait tout frais du marché. Alors jeter ça comme ça, « dégueulasse », en pâture aux voisins et à tout le monde… - Je ne pense pas que les voisins, s’ils en viennent à lire mon roman, cherchent un rapprochement avec toi et surtout avec moi. Je ne suis pas comme le personnage : violeur et psychopathe.- Je n’en sais rien ! Personne n’en sait rien. C’est ta vie ça ! Tu ne nous dis pas tout et c’est normal. Mais que tu n’ais jamais aimé mes quenelles, ça au moins tu aurais quand même pu me le dire… Dégueulasse ?!

Le 8 mars 2011 à 12:35

Françoise G., par Laure A.

Une biographie tout en nuances d'une journaliste par une journaliste

« La femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente ». Françoise GiroudQuand on est femme et qu'on exerce le métier de journaliste (au passage, un journaliste sur deux est une femme en France, c'est bon à rappeler en ce 8 mars), Françoise Giroud, forcément, est une icône. Laure Adler est femme et journaliste, et après avoir raconté les vies de Marguerite Duras, Hannah Arendt et Simone Veil, elle nous en dit davantage sur cette autre femme d'exception, qui a commencé comme scripte au cinéma, a participé à la naissance du magazine Elle, a créé L'Express avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, est devenue secrétaire d'état dans le gouvernement Giscard, a écrit de nombreux livres, dont autant de best-sellers et… a pas mal de zones d'ombre.Car Laure Adler pourrait n'être qu'admirative de ce parcours sans faute, mais elle tente de garder la distance nécessaire à un bon biographe. Son livre s'intitule simplement Françoise. Elle n'a gardé que le prénom de l'icône, qu'elle nous présente avec ses forces et aussi avec ses faiblesses : Françoise qui a aimé passionnément un homme, celui pour qui elle est presque morte, celui avec qui elle a enfanté l'Express. Quand Giroud se battait, pour les femmes, pour l'indépendance de l'Algérie, pour Mendès France, Françoise soupirait pour l'ambitieux JJSS. On disait Giroud dure, elle l'était, parce qu'elle s'était sortie de sa condition, et qu'elle ne voulait pas y retourner. On la disait parfois méchante, on a du mal à le croire. Mais Françoise, pendant ce temps, était femme, femme aimante, femme souffrante. Giroud a renié ses racines juives au point de les oublier, Françoise, bien des décennies plus tard, les a retrouvées, par amour pour son petit-fils (devenu grand rabbin). Si la femme publique se tenait droite, et parfois raide, c'était pour empêcher la femme secrète de vaciller, puis de tomber. Ce qu'elle a fait, et elle ne s'est jamais vraiment relevée. On a tous en mémoire l'image d'une Françoise Giroud froide, élégante, brillante ; le livre de Laure Adler, qui est un succès de librairie, nous la montre humaine, sensible, fragile. Et on est bien triste, à la fin, de la quitter.

Le 5 septembre 2010 à 16:00

Bulles de vanité

Les grands écrivains dotés d’humour se sont souvent réjoui des situations incongrues où leur supposée vanité d’auteur était susceptible, par la réflexion d’un inconnu, d’être dégonflée -pssschit !- comme ballon de baudruche. Parmi eux, Jules Renard ou Albert Camus qui se délectait souvent dans un large sourire de raconter pareilles mésaventures. Ainsi de ce couple qui insistait pour se faire photographier à ses côtés parce que c’était Camus –« Oui, là-bas, Camus ! » et qui était reparti presque fâché, lorsqu’il avait découvert que ce n’était pas Marcel, le cinéaste d’Orfeu Negro. Un écrivain ? Ils n’en avaient jamais entendu parler et ils n’en avaient cure. Le jardinier de Lourmarin, où Albert Camus, déjà prix Nobel, avait acheté une maison, ne comprenait pas non plus qu’il puisse, en noircissant des pages, gagner sa vie. « Et pour la gagner, lui demanda-t-il un jour, vous écrivez toutes les conneries qui vous passent par la tête ? » Cela, pour lui dépassait l’entendement. Et le brave homme de hocher la tête d’incrédulité. Autre fois : un gendarme qui arrêta l’auteur de L’Etranger pour usage de klaxon intempestif, observant ses papiers d’identité où il lut la mention « écrivain », s’enquit : « Vous faites dans le roman noir ou dans le roman rose ? » « Un peu des deux », répondit Camus dont l’œuvre est d’ailleurs empreinte d’un humour savamment ironique. Ps : pour ma modeste part, tandis que je végétais, en compagnie de mon ami, devant une pile de livres quasi-inentamée lors d’un petit salon littéraire, une femme s’arrêta à ma hauteur. Mince espoir… « Votre nom me dit quelque chose… » Elle se gratta la tête, dans l’espoir de convoquer un souvenir. Il lui revint. «Ça y est : c’est le nom de mon proctologue ! » Elle s’en fut, contente de ce rappel et de sa mémoire intacte.

Le 31 décembre 2011 à 17:55

"Ida ou le délire" d'Hélène Bessette

Un des grands plaisirs en littérature est la découverte d'écrivains majeurs, de livres qui comptent dans l'histoire de la littérature mais aussi dans les histoires personnelles des lecteurs. On reconnaît souvent - mais pas toujours- un grand livre à ce qu'il se lit d'une traite en une soirée et à la marque que l'on pressent qu'il va laisser en nous. "Ida ou le délire" est le premier livre d'Hélène Bessette que j’ai lu. Cela a été un choc. Le style tout d'abord : on ne peut plus sec, comme un coup de poing à l'estomac avec une ponctuation très originale (réduite au point et pas toujours où on l'attendrait). On peut penser à l'écriture de Duras (à cause du discours en boucle et de certaines phrases qui reviennent comme des incantations) mais en moins hermétique. Le thème ensuite : la lutte des classes, quand elle s'inscrit dans les corps (ici, c'est le regard d'Ida toujours fixé sur ses pieds) et détermine des destins individuels. L'héroïne enfin : Ida, une femme de ménage vivant au domicile de ses patrons, "oiseau de nuit" comme elle se définit quand elle entreprend d'arroser les fleurs en pleine nuit au grand dam de "Madame" (Madame, qui se croit dans son bon droit, qui confond le respect avec un infantilisme mêlé de dédain), Ida qui tient à avoir un beau manteau, plusieurs paires de chaussures, Ida qui lit des catalogues dans sa chambre aux stores baissés, Ida qui est morte.  Depuis 2006, les éditions Léo Scheer ont entrepris de rééditer l'œuvre de Bessette, écrivain encensée à son époque (par Duras ou Paulhan) puis injustement oubliée.

Le 6 avril 2010

Saint Marcel

L'art du tripatouillage

Quand, le soir venu, la menaçante oisiveté me tombe dessus, j'aime tripatouiller des choses, des recettes de cuisine, des petits bouts de texte. Ça me soulage. Tripatouillage et bidouillage sont les deux mamelles de ma tranquillité d'esprit. Mais pourquoi parler de deux mamelles quand un mot contient aussi insolemment le préfixe -tri- trois dans sa constitution? Tripatouiller, donc, serait patouiller trois fois, comble du patouillage embrouillé.  Vérification faite auprès de l'incollable Robert, le mot ne vient ni du grec ni du latin, ni même du persan ou du haut-allemand. Il vient, platement, d'un mot bien de chez nous "tripoter", lequel vient lui-même de "tripot", qui n'a rien à voir avec des tables à trépied ou des tourniquets tripodes. Tripatouiller est la version populaire de tripoter. Serait-ce donc pratiquer les manigances les plus inavouables, car conçues dans un tripot sous l'effet euphorisant de breuvages alcoolisés? Là encore, que nenni, nous dit le savant Robert, tripatouiller c'est "remanier sans scrupule un texte original". C'est donc se livrer à l'immémoriale activité de tous les écrivains, le palimpseste. C'est faire ce à quoi nous invitent les auteurs les plus reconnus, imiter, réécrire, s'inspirer de. Heureusement la mention robertienne d'absence de scrupule réintroduit un peu d'amusante immoralité dans tout cela. Tripatouiller permet ainsi le palimpseste irrespectueux, le débordement hasardeux, l'effacement bienheureux.  Dans la cuisine donc, je tripatouille allègrement. Une pâtissière lettrée de mes amies m'a fait parvenir une recette de cake aux fruits confits qu'elle prétend avoir trouvée dans Proust, encore lui. Je change tout. Les petits raisins infusés dans le thé deviennent des abricots au rhum. L'angélique, trop céleste, est avantageusement remplacée par le cédrat, plus voltairien. Le moule chemisé me prend de court. Il restera tout nu. Et pendant qu'il dore au soleil du four électrique, je vais tripatouiller ailleurs. Les voies du tripatouillage sont infinies. Je reprends ma déviante activité dans mon bureau. Je m'attaque à une liasse de feuillets. Je biffe, je rature, je relis, je cherche le mot juste, je le mastique et le rumine. Je donne libre cours aux phrases les plus débridées. A nous deux Marcel! La nuit sera longue, car, moi, jamais je ne me suis couchée de bonne heure.

Le 22 octobre 2010 à 10:00

David Foenkinos fait parler Lennon

Un chroniqueur de ventscontraires.net a encore frappé

Depuis mercredi, on trouve enfin en librairie le nouveau roman de notre chroniqueur David Foenkinos, après le succès public et critique du précédent La délicatesse. C'est un long monologue que Lennon : John Lennon chez la psychanalyste qui est installée dans son immeuble et que, donc, on n'entendra jamais, elle. L'ex-Beatles s'y raconte, en toute immodestie, en toute (brillante) intelligence. Et avec pas mal d'humour, ça lui fait au moins un point commun avec l'auteur du livre.En avant-première et affectueusement pour les lecteurs de ventscontraires.net, voici un extrait de cet ouvrage paru chez Plon : la première visite des Fab'Four à New York City.“ Vous n'avez jamais mis les pieds dans un pays, et des milliers de personnes sont là à vous attendre. Dans le froid, dans la nuit, peu importe. Les aéroports étaient le lieu des premières scènes d'hystérie. Parfois, j'ai pensé que ce n'était pas possible. Ce que je voyais ne pouvait être qu'une distorsion de mes iris. Le vêtement de mes hallucinations. Mais non, tout ça était bien réel. Aussi réel que je suis là à vous parler. En arrivant à New York, j'ai levé le bras pour saluer la foule. J'étais un chef d'Etat, j'étais la reine d'Angleterre devant ses troupes. On nous a précipités dans une salle. Avec des centaines de journalistes. Des milliers, peut-être, je ne sais pas. Il aurait pu y avoir le début de la Troisième Guerre mondiale ce soir-là que personne n'en aurait parlé. Tous les Américains voulaient nous découvrir. Ils voulaient savoir comment on parlait, comment on bougeait. On a été grandioses. On était vraiment drôles en conférence. Notre humour a joué dans la Beatlemania. Je ne sais pas comment on faisait, mais il n'y avait jamais de blanc. A chaque question, l'un de nous trouvait quelque chose à dire, une blague ou je ne sais qoi. Je me souviens qu'on nous avait demandé si on aimait Beethoven, et Ringo avait répondu : "Oui, surtout ses poèmes." Après la conférence, on a quitté l'aéroport en Cadillac. Pour aller au Plaza. Sur la route, les filles continuaient de crier. Une fois à l'hôtel, dans notre chambre, on a trouvé ça dingue de voir autant de chaînes à la télévision. On est restés au moins une heure, fascinés, à regarder tous les programmes possibles. Pour nous, c'était là le symbole ultime de la démesure. Mais il fallait rester concentrés. On devait affronter un défi majeur : l'Ed Sullivan Show. Cette émission était la Mecque. Fallait pas qu'on se plante. Et ça a été énorme. En quinze minutes, l'Amérique entière nous connaissait. Les parents inquiets de l'hystérie de leurs enfants ont été rassurés de nous voir. Surtout le visage poupin de Paul. Je suis certain que notre succès vient de là : nous étions comme une folie maîtrisée. Une révolution douce. Nous étions à la fois subversifs et respectueux. C'était comme s'introduire dans une maison, baiser la fille au premier étage, mais avant de faire tout ça, on aurait pris soin de bien s'essuyer les pieds sur le paillasson. ”> Lire les chroniques de David Foenkinos sur ventscontraires.net

Le 24 février 2011 à 15:43

S'écrire, dit-il.

Un texte de Carole Zalberg, à propos du dernier roman de François Bégaudeau

A l'occasion du "Problème", la pièce de François Bégaudeau à voir au Théâtre du Rond-Point jusqu'au 3 avril, ventscontraires.net vous propose un texte de Carole Zalberg (que vous connaissez pour sa contribution à "Au secours les mots!") sur La blessure la vraie, le dernier livre de cet auteur très polyvalent…Tout est dans le titre qui d’emblée annonce le jeu. Que sait-on avant d’entamer la lecture du dernier roman de Bégaudeau ? Ou plutôt, que croit-on savoir ?On sait que l’histoire se déroule durant l’été 86. Et pourquoi celui-là plutôt qu’un autre ? Parce que c’est celui d’un basculement : les étés qui ont précédé étaient ceux de l’enfance. On ne se préoccupait pas encore de poser.Le 7 juillet 86, François, 15 ans, arrive à Saint-Michel-en-l’Herm avec un objectif : coucher. Perdre enfin une virginité traînée comme un boulet. Il n’est d’ailleurs plus question que de ça au sein de la petite bande de garçons qui se retrouvent chaque année au moment des vacances dans ce village de Vendée. Coucher, le dire ou tenter de le faire. Tout se réorganise autour de cette injonction émanant autant des corps que du monde où l’on ne doit plus trop tarder à occuper sa place. Et c’est bien le problème de François, éternel décalé, qui se regardait vivre alors comme il s’écrit aujourd’hui, communiste lettré quand d’autres ne sont que jouisseurs et pressés d’en découdre, plein de phrases à l’heure des baisers. Mais il est volontaire, sait que la vie s’emballe et que faire chou-blanc n’est pas une option. Il se jette dans le bain de la grossièreté, d’une misogynie bon enfant puisque ceux qui y nagent à l’aise sont, étrangement, les élus des filles même s’ils finissent toujours par les faire pleurer.François emploie donc les mêmes mots, prend comme eux l’air de celui qui ne veut remplir que ses mains et s’en vante, mais au fond il a tendance à se pâmer, il rêve de partager plus que de la salive, succombe quand il sent les pensées irradier sous la peau.Et l’on revient au titre qui insinue l’échec ou, en tout cas, une déception. Mais là encore, pas seulement. En affublant la blessure d’un « la vraie », l’auteur, dont on connaît la précision, sème le doute. Ce qui s’affirme authentique est forcément douteux. C’est comme clamer partout qu’on est heureux.Cela ne signifie pas qu'on ne trouvera aucune trace de blessure dans ce récit. Elles se ramassent même à la pelle et presque à chaque page, autant que le rire souvent voilé de nostalgie. Les vannes, les rejets, les chutes, les défaites, les trahisons dont le narrateur est tour à tour victime ou coupable font mille entailles qui ne cicatriseront pas. Elles sont le relief des individus, leur géographie.N’est-ce pas finalement cela qu’observe Bégaudeau avec une justesse telle qu’après lecture on a le sentiment d’avoir vécu ces péripéties, porté ces habits connotés ? On était là quand les plaisanteries souvent lourdes, et vives, en même temps, gorgées de vitalité, fusaient au bar du village, on était là quand il fallait se lever et marcher jusqu’à l’eau, sur la plage, passer ainsi l’épreuve des regards. On était là quand un idiot, un sublime innocent était malmené par le groupe tandis qu’on se taisait. On était là, dans les conversations poussives et aussi dans l’évidence d’une ultime rencontre, sa promesse qui ne serait jamais tenue. On était dans ce rythme et ce décor daté, quasi disparu, dans ces lieux que la tempête, vingt ans plus tard, viendrait effacer.On était là quand Bégaudeau, sous nos yeux, s’inventait écrivain. Et l’on en sait gré à la blessure quelle qu’elle soit.Voir un autre texte de Carole Zalberg, dans la rubrique "Au secours les mots"

Le 26 août 2012 à 09:16

Le renard d'un Romand

« Plus rusé, ton prochain texte », m’a-t-on demandé. Je me suis donc mis, pour chercher l’inspiration, dans la peau d’un renard, un animal qui, comme le prouve une récente étude de l’Université de Cambridge, est réputé pour sa ruse. Enfin, quand je dis « je me suis mis dans la peau », il faut le voir au sens métaphorique du terme, n’appelez donc pas immédiatement Brigitte Bardot, merci : alors que les températures flirtent avec les normes saisonnières en raison de la dépression centrée sur les Açores, se mettre physiquement dans une peau de roux serait une idée particulièrement peu rusée. Je me suis mis dans la peau d’un renard, donc, mais d’un renard urbain, cet animal fougueux qui a su s’adapter à la modernité, délaissant les poulettes pour se rapprocher des centres-villes, où il y a quand même plus de choses à faire le samedi soir. Alors qu’autrefois, le goupil était obligé de suivre un entraînement rigoureux dans les plus célèbres académies ninja pour pouvoir approcher sans se faire surprendre des poulaillers, il mise aujourd’hui sur des arguments différents : il a bien compris, comme avant lui le moineau qui a pourtant une cervelle de moineau, que pour pouvoir se prélasser dans les rues de nos villes, sans naturellement travailler , le renard a un terrible poil dans la main, il lui suffisait d’être mignon. Il a beau éventrer nos sacs poubelles et dévorer nos chatons, le renard a droit de cité dans nos cités grâce à sa grâce. Et c’est de la même manière que je vais tenter de faire passer ce billet un brin poussif à l’aide d’un sourire charmeur.

Le 23 juillet 2015 à 08:30

Gros sur la patate

Pubologie pour tous

On pourrait croire que cette publicité n’est rien d’autre qu’un tableau niais, absurde et clichetonnant d’un bonheur familial parfait tel qu’on en rêvait dans des temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Eh bien c’est plus ou moins le cas. Car ce spot est en fait une reprise de ce spot, datant de 1976. Et puisque la publicité est un miroir de la société, menons une analyse comparative des deux versions pour en tirer des conclusions sur l’évolution (ou la non-évolution) de la société. On notera par exemple, que l’on fait moins d’enfants en 2011 qu’en 1976 : 3 contre 6. Les deux restant cependant au-dessus du taux de fécondité français. Car chez nous, au moins depuis Pétain, une famille parfaite est une famille nombreuse. C’est aussi toujours Madame, en rose, qui cuisine, même si Monsieur, en bleu, est présent en 2011, alors qu’il est absent en 1976. Pour ça, merci les 35 heures ! On remarque ensuite des changements dans les préoccupations des parents. Dans les années 1970, Madame fait de la purée Bidule car elle est « sûre que tout le monde en reprend ». Puis l’obésité est passée par là, 3 des enfants de la première pub sont morts avant 40 ans d’une maladie cardiovasculaire, et l’on s’est mis à privilégier la qualité à la quantité. En 2011, Madame est « sûre de ce qu’il y a dedans », mais aussi, heureusement, « sûre que tout le monde est content ». Ben oui, 35 ans ont passé, mais le rôle de bobonne est toujours le même : contenter Monsieur et ses petits chérubins. Mais comment fait-on pour savoir aussi précisément ce que les gens attendent de la vie et de la purée lyophilisée en 2011 ? Eh bien, on n’a pas trouvé de meilleure idée que de le leur demander. Alors on a plusieurs façons de faire bien sûr. Dans le cas de ce chef-d’œuvre audiovisuel, il est fort probable qu’on ait réuni dans la même salle une petite dizaine de mamans avec deux points communs. D’une part, elles font de la purée lyophilisée à leurs enfants, et d’autre part, elles ont du temps à perdre pour des études consommateurs. Face à ces femmes, un spécialiste hautement qualifié (comprendre : un étudiant en psychologie) observe, relance et oriente la discussion, qui sera enregistrée et décortiquée pour trouver LA vérité de ce que vivent au quotidien les consommateurs de purée lyophilisée. Non, bien sûr que non n’attend pas que le consommateur nous donne une idée. Non. Bon, d’accord, quand, à la 12ème minute, Madame Duchemin a glissé un « ben une chose est sûre hein, quand je fais de la purée Bidule, je suis sûre de ce qu’il y a dedans ! », ça ressemblait à l’idée qu’on a eue, mais ça n’a fait que révéler une solution qu’on avait déjà à l’esprit sans le savoir. Bon par contre, je mettrais ma main à couper que pourtant, personne n’a dit « ben une chose est sûre, moi quand on me prend pour une cruche, ça me donne envie d’acheter de la purée Bidule !»

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